Voici un roman de saison qui se déroule, pour notre grand plaisir, dans la neige et le brouillard le plus total. C'est le matin de Noël et Holly et Éric peinent à se réveiller à cause du lait de poule de la veille. Même leur fille adolescente adoptive, Tatiana, n'est pas venue les réveiller pour ouvrir les cadeaux. A présent il est trop tard, Éric doit partir chercher sa famille à l'aéroport, tout le monde a plus ou moins la tête dans le coton et est un peu ronchon. Mais en ce qui concerne sa fille, Holly met ça sur le compte de son adolescence et du fait qu'elle n'ait pas pu ouvrir ses cadeaux.
Pourtant, rapidement la tension monte d'un cran : Tout le monde est bloqué à cause de la tempête, aucun invité ne peut arriver, Éric ne peut pas rentrer, les filles sont coincées à la maison avec leur mauvaise humeur latente et le mauvais pressentiment d'Holly, qui ne fait qu'enfler à mesure qu'elle se sent seule, isolée et impuissante à renouer le dialogue avec sa fille… Tatiana est d'une humeur très étrange, comme si elle en voulait à sa mère. Holly s'est d'ailleurs levée avec cette étrange impression que « quelque chose les a suivis de Russie jusque chez eux ». Et elle ne parvient pas à s'ôter cette idée de la tête tout au long de la journée, essayant de se remémorer leur retour de Russie après l'adoption de Tatiana.
Le lecteur est donc bloqué avec Holly et Tatiana dans la maison le jour de Noël. S'en suit un huis clos angoissant entre la mère et la fille, où les petites disputes quotidiennes se transforment en phénomènes étranges et inexplicables : l'ado qui a une tenue différente à chaque apparition, une attitude différente à chaque fois, disant ne pas avoir faim puis avalant le rôti encore cru, etc… Holly n'a qu'une solution pour tenter de se sortir de cette mauvaise journée : Parler avec sa fille pour comprendre ce qui cloche. Un étrange dialogue s'installe alors, instable, inégal et parfois brutal… Comme les révélations qui vont suivre !
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Ce que j'aime dans les romans de
Laura KASISCHKE, c'est l'ambiance particulière qu'elle parvient à créer selon les thèmes de ses romans : Elle fait toujours osciller son lecteur entre explication rationnelle et possibilité surnaturelle. Ce que j'aime moins parfois, ce sont ses fins pour moi inabouties, qui n'apportent pas toujours de réponses claires.
Cette fois-ci, j'ai commencé par trouver ce roman un peu moins bien écrit que les autres, et son leitmotiv de départ - « quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux » - un peu agaçant. Pourtant, l'auteure nous fait vite ressentir qu'effectivement quelque chose ne tourne pas rond : Comme d'habitude, elle flirte avec le surnaturel et c'est justement ce qui nous donne envie d'avoir le fin mot de l'histoire, de savoir comment elle va pouvoir expliquer les phénomènes qu'elle décrit.
Et j'avoue que dans «
Esprit d'hiver », la fin est des plus réussie et nous invite à revivre le livre à l'envers, réinterprétant et expliquant tout ce qui nous a fait tiquer depuis le début : le leitmotiv prend tout son sens, les phénomènes étranges également, les détails d'écriture qu'on a relevés sans en voir l'utilité immédiate… Tout est exploité, utile, et surtout extrêmement bien imbriqué dans la narration : Tout finit par s'expliquer du fait des deux dernières pages, mais il faudra attendre jusque-là pour avoir le plaisir de comprendre (si vous avez l'habitude de lire la fin des livres, ne le faites surtout pas cette fois !).
Cette fin a donné toute sa valeur à ma lecture, à l'attente que quelque chose se passe pour comprendre une situation qui avait l'air de tourner en rond tout en prenant de l'ampleur. Il suffit juste de se laisser porter par le récit de l'auteure jusqu'au point de non-retour, jusqu'à ce que la situation et les faits montent au cerveau des personnages et du lecteur, qu'ils soient digérés par le personnage principal pour enfin révéler leur signification depuis le début, la seule possible.
Après 300 pages où l'auteur distille l'angoisse par l'incompréhension - le lecteur est emprisonné dans cette journée qui n'en finit pas, et dans cette maison bloquée par la neige - la délivrance arrive enfin, et elle est délicieuse. Une prise de conscience salvatrice qui nous rend Holly plus attachante, on compatit à ce qu'elle peut ressentir une fois le livre fermé. L'auteure est parvenue à nous faire pénétrer son subconscient sans que l'on s'en aperçoive. Une belle performance, car même si le brouillard qui entoure cette journée rend le début lent et répétitif, la fin justifie cette sensation. A découvrir un jour de neige et de brume, au coin du feu !
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