"Respirer. Ne plus penser à rien. Sentir sous ses doigts le manche rugueux de la hache, planter son talon dans le sable de l'arène, fermer les yeux et attendre. Oublier le murmure de la foule, la chaleur qui montait du sol, le claquement des bannières au sommet des gradins. Se recueillir, comme pour une prière. Un rituel si familier qu'il en devenait presque apaisant, quelques secondes à peine avant le choc des armes. Mais, cette fois, Leth Marek ne put s'empêcher d'ouvrir les yeux, car c'était le dernier."
"La marche du prophète" est le premier volume d'un diptyque de
Gabriel Katz se déroulant dans le même univers que ses livres précédents la trilogie du "Puits des Mémoires" ainsi que le roman indépendant"
La maitresse de guerre".
C'est donc pour les fans de l'auteur incontestablement un plus avec une nouvelle fois l'opportunité de sillonner de nouvelles contrées d'un monde qui s'il est Fantasy se veut assez réaliste.
À ce titre tout ce qui a trait à la magie est quasi absent, toutefois une intrigue menée en second plan laisse penser que cela pourrait évoluer dans une autre voie avec le tome de clôture...
Le livre en lui-même est plutôt un bel ouvrage, la couverture d'
Aurélien Police faisant l'amalgame entre un objet de culte de la grande déesse et une dague ensanglanté y est sans doute pour beaucoup et chose n'est pas si coutume que cela, elle est en phase avec l'intrigue du roman bien qu'il faille avoir commencé la lecture de l'ouvrage pour s'en rendre compte.
Avant tout, le héros Leth Marek, jeune quarantenaire et gladiateur de métier, champion incontesté de la cité de Morgoth avant qu'il ne se décide à raccrocher définitivement la hache, son arme de prédilection, non sans avoir livré au préalable un dernier combat contre le meilleur de ses prétendants au titre suprême. C'est au final un peu le guerrier de l'hiver façon
David Gemmell, d'ailleurs il a pas mal en commun avec d'autres héros de l'auteur britannique par notamment un attachement à défendre certaines formes d'injustice tout en défendant des principes de vie fondés sur un certain code de l'honneur et des valeurs humaines et ce plutôt que par la soumission aveugle à une morale religieuse.
Leth Marek se décide donc à changer de vie alors qu'il est au sommet de sa gloire afin de s'accomplir sur le tard, en tant que père auprès d'enfants qui ont grandi avec leur mère et dont il ne s'est jamais vraiment occupés. "Profitez de la vie, il est plus tard que vous ne pensez..." cette citation colle finalement bien au personnage, pire parfois même le destin se charge avec une certaine ironie de vous empêcher d'essayer de vous amender de certains manquements, le temps perdu ne se rattrape pas et la vie de Leth Marek va passer de la lumière aux ténèbres en quelques pages.
Le roman est constitué de 39 chapitres pour 366 pages effectives de lecture et si on tient compte d'une taille de police plutôt grande on peut considérer que c'est finalement un petit roman qui est mené à un rythme très soutenu.
D'un côté on a Leth Marek au fond du gouffre et qui va assez rapidement lier son destin avec un groupe de religieux itinérants adorant une divinité ancienne qu'ils nomment Ochin. Ils sont menés par un prophète à la tête d'un ordre de prêtres et prêtresse choisit autant pour leur adoration envers le Dieu unique que pour leur beauté physique...Ce culte prône des principes qui s'opposent à ceux de la religion officielle en l'occurrence celui de la grande déesse dont le siège du pouvoir se trouve à Kyrenia. le nouveau culte qui sur bien des aspects et notamment son organisation et la foi aveugle de ses partisans, s'apparente à une secte, véhicule des valeurs d'égalité entre tous les hommes et les femmes alors que celui du patriarche de la Cité du savoir, défendent les principes très conservateurs de son ordre et les notions d'un statut social inné définissant notre place et nos droits dans la société (les religieux, les nobles, le peuple, les esclaves etc...). le culte de la grande déesse est finalement assez proche de l'expression du catholicisme à notre époque médiévale européenne, où notamment les femmes avaient un statut encore en deçà de celui des hommes.
Dans ce roman l'auteur a pris le parti de faire reposer son intrigue essentiellement sur ses personnages principaux au détriment du développement du background que je trouve un peu trop épuré, et s'il est facile de s'imaginer la baronnerie de Ridan avec ce vieux château délabré où se posent les adeptes du culte d'Ochin, les cités de Kyrenia et Morgoth sont à peine esquissés tout comme pas mal d'éléments d'ordre sociétal. Finalement on en saura pas non plus grand-chose sur la structure géopolitique du royaume où se situent les évènements. de manière générale on peut dire que le roman souffre d'un manque cruel de développement horizontal alors qu'il est pour autant très agréable à lire.
La force du roman c'est donc ses personnages et un arc narratif passionnant mené sur deux fronts. D'un côté nous suivons le destin de Leth Marek aux côtés des adorateurs du culte d'Ochin où ce dernier partagera des instants de franche camaraderie avec ce diable de Desmeon, mercenaire de renom dit " le danseur" très imbu de sa personne et poseur mais au combien sympathique, et au travers de la jeune métisse Nessirya ce n'est ni plus ni moins que la promesse d'un amour naissant qu'entrevoit notre héros.
De l'autre nous suivons le chemin de Varian, jeune prêtre ambitieux mais vertueux, arrivé dans la sainte cité afin de s'élever dans la hiérarchie du Temple, et Synden une jeune catin appartenant à une institution qui ne propose ses services qu'aux personnes les plus influentes et les plus fortunés de la cité. Si le premier va très vite faire l'apprentissage du pouvoir tout en posant un regard critique sur les dérives qu'il pourra observer, l'autre se retrouvera sans le vouloir au coeur d'un complot politique et religieux, sa situation en tant que témoin de l'assassinat d'un grand-prêtre du Temple, lui vaudra d'être pourchassée par ceux qui veulent lui faire taire ce qu'elle en a appris .
Le fil conducteur c'est bien entendu l'opposition entre une religion qui tient les rênes du pouvoir et qui entend le conserver et un culte qui séduit chaque jour de nouveaux adorateurs auprès du petit peuple plus enclins à boire ses paroles. La guerre couve entre les deux ordres, les manoeuvres souterraines vont bon train des deux côtés et à l'instar d'un véritable illusionniste l'auteur exploite à merveille les trompes l'oeil, attention aux faux-semblants .
À ce titre notre héros semble bien isolé dans une histoire où personne ne semble être ce qu'il prétend.
Le final du roman est juste comme je les aime, désabusé, cynique et traumatisant, un véritable cliffhanger qui nous amène à attendre avec une certaine curiosité le second volume.
Lien :
http://david-gemmell.frbb.ne..