Pilier phare de la Légende de Duluoz, grande saga esquissée par Kerouac avec la plupart de ses romans et dans laquelle il ne raconte en fin de compte que l'histoire d'un même personnage, avatar de l'auteur,
Les Clochards Célestes reprend plusieurs grands thèmes et motifs de son célèbrissime chef-d'oeuvre,
Sur la route, mais s'en éloigne sur beaucoup d'aspects.
Si les protagonistes d'On the road étaient animés d'une soif inépuisable du toujours plus loin, poussés sans cesse à continuer leur chemin sans s'arrêter sur un plan horizontal et à couvrir le plus de distance possible, c'est vers la verticalité que tendent les Dharma Bums. En effet, si l'on retrouve plusieurs passages de longs voyages en auto-stop ou trains de marchandise, en toute illégalité bien sûr, car leur situation est beaucoup plus précaire que celle des étudiants du précédent roman, ceux-ci ne sont que des phases de transition dans l'attente de trouver un endroit où se poser, renversant ainsi la structure à laquelle Kerouac nous avait habitués.
Et ces endroits, ce sont le plus souvent des montagnes. Leur ascension fait d'ailleurs partie des passages les plus beaux du livre. Cette volonté de se retrouver isolé de tout, de parvenir au somment du monde, et de trouver la paix avec soi-même, fait écho au voyage introspectif et spirituel des personnages, fervents convertis au Bouddhisme Zen, qui offre de très nombreux moments de folie durant lesquels ces gais lurons réfléchissent ou discutent du sens de l'existence, la plupart du temps en racontant n'importe quoi, le doute restant permis puisque si je ne m'abuse (et non pas six jeunes m'abusent), c'était la religion à laquelle l'auteur adhérait.
Ainsi, le schéma narratif du roman est le suivant : Voyage-Ascension-Voyage-Ascension-Voyage-Ascension-Voyage-Ascension. Mais si la première et la dernière escalade concernent bien un sommet géographique, les deux autres sont uniquement centrés sur le cheminement psychologique de Smith, vagabond illuminé sous l'influence constante de Japhy, pendant religieux de
Dean Moriarty ; le héros semble condamné à n'être qu'un suiveur, même si le phénomène est ici bien plus relatif que dans
Sur la route. Les deux compères et leurs amis mènent une existence insouciante et libre qui préfigurent clairement le mouvement hippie, avec orgies chasses aux papillons en tout genre.
Bien sûr tout ce cirque ne serait rien sans l'écriture de Kerouack, qui a beau déplaire à beaucoup même parmi ses fans, mais me convaincra toujours. La frénésie des déplacements ne nous surprend guère mais mettent maintenant en valeur des moments plus posés que l'on n'avait pas l'habitude de voir, garni de descriptions, de longues discussions, de flâneries, dans un style beaucoup plus conventionnel, mais qui s'emballe dans les phases paroxystiques (quel joli mot) que sont les découvertes du monde nouveau que constituent les montagnes, sortes de continents engloutis dans les nuages qu'il n'appartient qu'à l'homme de redécouvrir.
Équivalent intérieur des pérégrinations de
Sur la route,
Les Clochards Célestes, sans atteindre la perfection de son prédécesseur, n'en demeure pas moins un fabuleux voyage initiatique sur le toit du monde qui vaut le coup d'oeil et dont vous vous souviendrez longtemps.