Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

[...] le bonheur est peut-être trop simple pour qu'on puisse écrire à son propos, écrivis-je, comme je le fais en ce moment précis, je lis sur une feuille écrite autrefois et je recopie ici qu'une vie vécue dans le bonheur est une vie vécue dans le silence. Il s'avéra qu'écrire à propos de la vie revenait à méditer sur la vie, que méditer sur la vie revenait à la mettre en doute, or ne met en doute son propre élément nourricier que celui que cet élément étouffe ou qui s'y meut d'une façon dénaturée.

[...] Le pouvoir n'est ni nécessaire ni superflu, mais seulement une question de décision, de décision prise ou non dans les vies particulières; il n'est ni diabolique ni sophistiqué, il n'a pas cette grande classe fascinante, non, il est simplement vulgaire, ignoble, criminel, bête et hypocrite, et même au moment de ses plus grandes réalisations, il est tout au plus bien organisé, dis-je vraisemblablement, oui, fondamentalement pas sérieux, car depuis que les usines de la mort se sont ouvertes çà et là, et dans tant d'endroits, c'est fini, pendant un bout de temps il n'y aura plus rien de sérieux, du moins en ce qui concerne l'image du pouvoir, de n'importe quel pouvoir.

[...] Considérer le monde comme une suite de hasards arbitraires serait porter un regard assez indigne sur le monde [...].

[...] j'aurais pu écrire cela autrement, d'une manière plus tempérée, plus mesurée, je dirais même: peut-être avec amour, mais je crains de ne plus pouvoir écrire que d'une plume trempée dans le sarcasme, avec une peu d'ironie, avec un peu d'humour peut-être (ce n'est pas à moi de juger), et aussi une espèce d'infirmité, comme si quelqu'un repoussait ma plume dès qu'elle s'apprête à écrire certains mots, si bien que ma main finit par écrire d'autres mots à leur place, et ceux-ci ne peignent jamais une image pleine d'amour, simplement parce que je crains qu'il n'y ait pas d'amour EN MOI [...].

Nul n'ignore que nous ne savons et ne pouvons pas savoir ce qui cause la cause de notre presence,et nous ne savons pas pourquoi le but de notre presence,et nous ne savons pas pourquoi nous devons disparaitre si deja nous sommes apparus?

mais la peur, ma chère, dis-je à ma femme, fonctionne avec beaucoup de transferts, et justement quand elle se cristallise en ordre du monde, elle n'est souvent plus qu'une superstition.

Elle dit que je l’avais terrassée avec mon esprit, puis que j’avais éveillé en elle la compassion et qu’après avoir éveillé sa compassion, je l’avais transformée en auditrice de mon enfance terrible et de mes histoires abominables, et quand elle avait voulu devenir partie prenante de mes histoires pour me sortir de l’impasse qu’elles représentaient, de ce bourbier, de cette vase, et me conduire vers elle, vers son amour, pour qu’ensuite nous sortions ensemble de ce marais et le laissions pour toujours derrière nous comme le mauvais souvenir d’une maladie : j’avais soudain lâché sa main et j’avais pris mes jambes à mon cou pour retourner dans le marais et elle n’avait plus la force de me suivre une deuxième fois , et qui sait combien de fois encore , pour me ressortir de là..

"Non !" - je ne pourrai jamais être le père, le destin, le dieu d'un autre être,
"Non !" - jamais ne peut arriver à un autre enfant ce qui m'est arrivé dans mon enfance

[...] il me semble que je ne peux entrer en contact avec la vie que sous la forme d'un jeu logique [...] comme lorsqu'on prend deux fils, disons, qu'on les relie avec une vis, qu'on introduit l'un des bouts dans un trou dans le mur, qu'on appuie sur un bouton et que la lampe s'allume; il s'agit d'un calcul de probabilité purement conscient [...], le résultat étant celui qu'on attendait, il n'en reste pas moins que c'est étonnant et même dans un certain sens incompréhensible.

« Elle dit que je l’avais terrassée avec mon esprit, puis que j’avais éveillé en elle la compassion et qu’après avoir éveillé sa compassion, je l’avais transformée en auditrice de mon enfance terrible et de mes histoires abominables, et quand elle avait voulu devenir partie prenante de mes histoires pour me sortir de l’impasse qu’elles représentaient, de ce bourbier, de cette vase, et me conduire vers elle, vers son amour, pour qu’ensuite nous sortions ensemble de ce marais et le laissions pour toujours derrière nous comme le mauvais souvenir d’une maladie : j’avais soudain lâché sa main et j’avais pris mes jambes à mon cou pour retourner dans le marais et elle n’avait plus la force de me suivre une deuxième fois , et qui sait combien de fois encore , pour me ressortir de là.. »