Black badge, tome 2

Ce tome fait suite à Black Badge, Vol. 1 (épisodes 1 à 4) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2019, écrits par Matt Kindt, dessinés et encrés par Tyler Jenkins, avec une mise en couleurs réalisée par Hilary Jenkins. le tome se termine avec les couvertures réalisées par Matt Kindt (*4), par Tyler Jenkins (*4), par David Lapham, Julian Totino Tedesco, Jay Shaw, Tonci Jonzic, 2 pages d'études graphiques sur la forme des badges des 3 autres équipes (Pink, White, Blue), et 8 pages de photographies de planches à différents stades de réalisation dans le studio des Jenkins.

C'est l'épreuve finale du jamboree pour décrocher le badge arc-en-ciel. Chacune des 4 équipes sera déployée à un endroit différent de l'île. Des caissons seront lâchés avec parachute à des endroits au hasard au-dessus de l'île. Premier arrivé, premier servi : la première équipe à en atteindre un peut prendre possession de son contenu. le gagnant sera la première équipe à atteindre le sommet du volcan au repos. Ne pas oublier : interdit de tuer ou de mutiler un membre d'une équipe adverse. le site de déploiement de chaque équipe a été tiré au sort. La première équipe se retrouve dans une barque qui prend l'eau et l'un des 4 scouts ne sait pas nager. La deuxième équipe se retrouve dans la nacelle d'une montgolfière qui fuit et elle chute parce qu'il y a un passager de trop. La troisième équipe est déposée dans des grottes souterraines dont on ne peut sortir qu'en plongeant dans un lac. Ils n'ont qu'une bouteille d'oxygène pour 4, et l'un d'eux est claustrophobe. L'équipe badge noir est dans une zone désertique, sans eau. L'un d'eux pense à Sa Majesté des Mouches (1954) de William Golding. Un autre évoque la rumeur qui veut qu'il y a déjà eu un mort lors d'un jamboree.

Kenny, Cliff, Mitz et Willy se disent qu'il leur faut attendre la tombée de la nuit avant de se mettre en marche, sinon la semelle de leur chaussure va fondre sur le sol chauffé par la lave qui passe en dessous. Ils aperçoivent une caisse qui atterrit non loin. Ils se rendent devant et l'ouvrent : elle contient des armes à feu. Kenny décide de laisser les armes là plutôt que de prendre le risque de les emmener et de provoquer un accident mortel. Willy fait observer à Kenny qu'il n'a jamais raconté son histoire personnelle. Kenny raconte qu'il était un enfant ordinaire dans une famille ordinaire, jusqu'à ce qu'un jour son père surgisse en courant, indique qu'il avait été impliqué dans un accident de voiture. Son père avait récupéré des liasses de billets dans le coffre-fort familial et était reparti en courant, en grimpant par-dessus la palissade au fond de leur jardin, alors que 3 policiers armés de fusil pénétraient dans leur jardin. Kenny avait tout perdu ce jour-là. La nuit étant tombée, les Badges Noirs ont entrepris leur progression. Ils arrivent devant un autre groupe de 4 scouts, ceux spécialisés dans la surveillance. Ils passent tout de suite à l'attaque pour neutraliser les Badges Noirs.

Même si le premier tome n'était pas parfait, difficile de résister à l'attrait de découvrir le second : retrouver ces scouts experts en techniques d'espionnage, à l'histoire personnelle dramatique, travaillant pour une mystérieuse organisation d'adultes. Ce second tome commence avec une dynamique irrésistible : les 4 meilleures équipes de scouts clandestines vont s'affronter sur une île et que le meilleur gagne. Matt Kindt commence par faire référence à Sa Majesté des Mouches, puis à Hunger Games de Suzanne Collins, et enfin à Harry Potter de JK Rowlins. Mais très vite, le récit plonge dans sa propre mythologie : les Badges Bleus expliquent ce qu'ils ont appris. le mystérieux Hook Hand kidnappe des scouts, ceux qui disparaissent pendant le Jamboree (rassemblement de scouts) et les intègre dans une organisation appelée Honour Society, pour les faire travailler à déstabiliser le monde, contre les autres groupes de scouts.

Matt Kindt sait y faire pour donner de la consistance à cette organisation de groupes clandestins de scouts, en y ajoutant un fond d'espionnage bien maîtrisé. le lecteur côtoie donc de très jeunes adolescents, accomplissant des missions d'adultes et entraînés à des compétences d'adultes, allant de la surveillance, jusqu'à l'assassinat avec toutes sortes d'armes. Les Badges Noirs ne connaissent que Maître Gottschalk dans cette organisation, le reste étant totalement imprécis et nébuleux. Entre les différents groupes de Badges, le niveau d'information n'est pas le même et chacun possède des informations partielles et parcellaires. Chaque groupe a détecté des actes bizarres, et l'agent double Hook Hand a plus le statut de légende que d'être vivant déjà rencontré. Kindt ajoute de temps à autre un événement historique réel, comme la prise d'otages lors des jeux olympiques de 1972 à Munich. Il saupoudre d'éléments de livre d'aventure comme le supplice de la planche, la progression en buggy sur un terrain défoncé, et même un manuel illustré de scout. le lecteur se laisse emporter dans ce monde de complots et de conspirations, où un groupe de jeunes adolescents est potentiellement en mesure de mettre à jour ces opérations de sabotage à l'envergure internationale. le lecteur plus âgé est surpris de constater qu'il y a également des éléments très adultes comme des considérations féministes (le badge rose est un concept si condescendant) et des vrais meurtres.

Les épisodes de ce deuxième tome sont à nouveau illustrés par Tyler Jenkins, l'artiste présent pour le premier tome, et ayant déj collaboré avec Matt Kindt pour la série Grass Kings. Comme dans le premier tome, Jenkins donne l'impression de souvent dessiner à l'économie. Il détoure les formes avec des traits de contour assez fin, mais donnant une impression d'imprécision, pas toujours jointifs. Les traits de visage donnent parfois l'impression d'avoir été tracés à la va-vite, soit par des gros traits, soit de manière esquissée, même s'ils sont repassés à l'encre. Ses pages donnent souvent l'impression de ne contenir strictement aucun décor. En fait en y regardant de plus près, il n'y en a que 3 ou 4 à par épisode, à en être vraiment dépourvus. Mais bien souvent il se contente de quelques traits évoquant grossièrement un mur ou un arbre pour tout décor. Il laisse le soin à sa femme de compléter par la couleur. Les pages en fin de tome permettent d'apprendre qu'Hilary Jenkins travaille à la gouache pour mettre en couleurs les pages. le type de peinture apporte déjà de la matière du fait de son épaisseur. Effectivement elle habille de manière convaincante les larges surfaces détourées par un trait fin : le bleu de la mer, le vert de la végétation, l'ocre de la terre nue, le gris foncé mêlé de brun foncé pour la nuit, le bleu-gris pour les fumigènes. Elle sait aussi déployer des camaïeux dans une couleur principale pour unifier toute une scène dans une atmosphère.

Du coup, l'impression du lecteur oscille entre un manque de précision dans les descriptions, et un ressenti global convaincant, en fonction des pages et des séquences. La barque qui prend l'eau repose sur une mer superbe. La terre ocre dégage une forte sensation de chaleur. La nuit dans cette zone désertique est ouverte et faiblement lumineuse. le rose servant de fond derrière le kiosque à journaux apparaît plus vrai qu'une couleur naturaliste. le bleu lors de la prise d'otages en 1972 suffit pour donner de la consistance aux locaux. le vert donne un goût saumâtre au supplice de la planche, le rendant tout à fait convaincant. Mais à d'autres moments, le lecteur a l'impression de visionner un film de série Z complètement fauché et masquant le manque de budget par des effets d'éclairage ou de fumigène : les Badges qui papotent la nuit sur un fond vide, les Badges Roses qui interrogent les Badges Noirs avec ce qui ressemblent à une toile de fond peinte avec un camaïeu de vert, les filles qui se débattent dans une fumée inconsistante, ou encore Willy qui se bat contre 2 assaillants sur un fond noir passe-partout.

Du coup, le lecteur se rend compte que le ton de l'histoire emmène les réticences qu'il peut entretenir vis-à-vis de la narration visuelle, et qu'il prend un grand plaisir à la dimension ludique qui accompagne cette aventure d'espionnage, pas complètement sérieuse parce que ce principe de groupes clandestins de scouts est trop romanesque. Dans le même temps, impossible de ne pas apprécier l'inventivité et l'habileté avec lesquelles le scénariste entremêle des idées farfelues, mais parfaitement en phase avec le principe de base de la série, et avec sa dynamique. Par exemple, le lecteur se régale des 8 opérations de sabotage et de déstabilisation détaillée dans les 3 premières pages de l'épisode 7. Impossible également de ne pas se laisser gagner par le début de paranoïa des Badges Noirs qui commencent à voir des agents doubles partout. Arrivé à la dernière page, le lecteur se rend compte que l'attente va être longue pour découvrir ce qui est arrivé à Willy, qui se retrouve pendu, pour savoir si les Badges Noirs pourront mettre leurs compétences et leur expérience à profit pour déjouer les manigances des adultes.