Misery n'a pas réussi, au cours de mes deux lectures séparées de cinq ans, à acquérir ce caractère essentiel de l'oeuvre au sein de la bibliographie de
Stephen King. Si les qualités ne manquent pas dans ce bouquin relativement court, elles reflètent véritablement ce que j'appelle le "
Stephen King des débuts". Et je ne me suis jamais caché que de toute la
carrière de ce grand romancier, c'est ses débuts que je trouve les moins intéressants. Cette critique sera le moyen de l'aborder. On pourra aussi noter que
Misery est doté d'une formidable adaptation cinématographique qui est, je pense, assez fidèle. Mis à part peut-être que Paul Sheldon est dans un état préférable dans le film et que la charmante Annie Wilkes est bien plus clémente, dans le film toujours.
On va commencer par les qualités flagrantes de l'ouvrage, justifiant au passage l'avalanche de critiques positives le concernant. L'intrigue est un bon exemple du talent de
Stephen King à transformer quelque chose de banal en quelque chose d'extraordinairement addictif. Un malheureux écrivain merde, finit avec des jambes broyées, et se fait sauver par une admiratrice. C'est sans compter sur la perversité de Stéphane Roi qui en fait, pour ainsi dire, une cinglée bien bâtie. Et donc de commencer le calvaire de Paul Sheldon, proprement emprisonné dans une minuscule chambre au plafond lézardé et à la décoration ultra-simpliste qui tournera très vite en théâtre des horreurs, et plongé dans une rythmique infernale de va-et-vient de la douleur. Cette douleur omniprésente ne manquera pas de réjouir le lecteur grace à des métaphores et autres exercices de style complètement judicieux, et sera caractéristique de ce récit qui gravite perpétuellement autour. La dépendance aux drogues se révèle, elle aussi, essentielle au récit et donnera lieu à des tortures psychologiques ou physiques de fort bon goût.
le personnage d'Annie Wilkes est d'une justesse rare, et encore une fois c'est un King "très propre", très tourné sur son style que nous lisons. Certainement moins intimiste, moins dans la peau du conteur qu'on lui connait avec ses récits récents, mais plus dans celle d'un écrivain s'appliquant à trouver les tournures justes, les expressions frappantes et le meilleur moyen de faire suer à grosses gouttes son lecteur. le malaise, la répugnance et le dégoût qu'inspire Annie Wilkes sont bien réels, et son image vient un peu trop facilement en tête au goût du lecteur (cela parait si "simple" de donner vie à un tel monstre). le personnage si instable d'Annie se plaira à basculer d'un extrême à l'autre et de balloter sans ménagement le lecteur, qui lui, se sent aussi oppressé et vulnérable que notre cher Paul.
Cet aspect huis-clos du récit, s'il est terriblement efficace, est aussi ce qui m'a empêché de pleinement profiter de l'intrigue et de tourner les pages sans pouvoir m'arrêter, car il faut bien avouer que si l'on s'imagine bien des choses, le terrain de l'imagination se résume ici à trois personnages: Annie, Paul et
Misery; et un lieu: la maison d'Annie. Si cette ambiance claustrophobique est évidemment justifiable, elle épuisera très vite le lecteur qui profitera d'une de ses pauses pour partir dans un univers plus riche et libérateur.
La folie d'Annie est donc parfaitement restituée, et le recours à la violence n'est pas vain, puisqu'il est suffisamment rare pour être déstabilisant, et suffisamment répandu pour le craindre. Je souligne une fois de plus la finesse de l'écriture de
Stephen King sur cette ouvrage, qui arrive à décrire quelque chose d'instinctivement horrible comme un processus délicat (si vous tenez à un exemple, on peut penser à la scène où Sheldon se fait scientifiquement éclater la rotule, et qui est décrite comme un choc sur le dome de sel que représente l'articulation, enfin bon c'est boooo c'est presque pooooétique).
Les escapades de Paul en-dehors de son habitat naturel, c'est-à-dire sa misérable chambre, atteignent des sommets de tension, pour les raisons que vous pouvez deviner. Tout est tout de même très dynamique dans ce livre. La fin l'est, par exemple, et n'est pas décevante ni enthousiasmante. C'est une fin correcte. Une bonne fin.
Pourquoi ne pas monter au-dessus du 7, alors? Eh bien, pour une raison assez globale: je n'ai pas ressenti la fougue habituelle me transportant dans les histoires de
Stephen King. Rien à voir avec l'absence de fantastique ou je ne sais quoi d'autre, je pense plutôt que cela tient aux enjeux du livre. S'il propose une réflexion intéressante sur le statut d'auteur, par une mise en abîme crédible (d'ailleurs, en passant, les extraits du Retour de
Misery m'ont profondément lassé, quel dommage!) et des situations assez claires dans leurs intentions, le côté divertissant du livre est d'un bon niveau mais ne m'a pas transcendé. J'étais même plutôt heureux de toucher à la fin de cette histoire qui, si elle était efficace, nous a quand même cloués à un lit pendant 400 pages. Disons seulement que cela m'a fait plaisir de souffler un coup.
N'empêche!
Misery est un bon roman qui explore le statut d'auteur parallèlement au champs lexical de la douleur, offrant une vision intéressante et sans pitié du métier. Mais sans partir dans les allégories, c'est aussi un bouquin qui prend aux tripes et qui fait flipper le lecteur aussi facilement qu'Annie change d'humeur. Cela sent l'old school, les ficelles grossières sont si finement mises en place que
Stephen King a gagné mon approbation immédiate. Et surtout, c'est un livre bien écrit, qui mérité le coup d'être lu. Pas l'ouvrage majeur auquel je m'attendais, mais seulement un
Stephen King de très bonne facture.