On peut passer sa vie entière à se dire que la vie est logique, prosaïque, saine.
Saine, surtout.
La folie, c'est quand on ne voit plus les coutures qui font tenir les différentes parties du monde ensemble.
Scragg a hoché la tête et a fait un signe de la main avant de reprendre le moyen de locomotion favori des campus : le Pas traînant de l'Adoliquescent.
Éclat de rire général, sauf pour Ted Jones. Il ne riait pas, et il faudrait que j'aie un œil sur ce type. Il avait toujours son petit rictus de cannibale. Il avait bougrement envie d'avoir le dessus, ça se voyait.
Les mots faisaient amèrement écho dans ma tête comme s'ils venaient de très profond. De mots-requins sortis des grands fonds, des mots-mâchoires venus me dévorer. Des mots avec des yeux et des dents.
Je me suis assis et j'ai croisé les bras. Je suis un grand croiseur de bras.
Quand on a cinq ans et qu'on a mal quelque part, on crie pour que le monde entier soit au courant. A dix ans, on gémit.
Mais dès qu'on arrive à quinze, on commence
à grignoter la pomme empoisonnée qui pousse sur notre arbre de douleur personnel.
Il doit y avoir une ligne de démarcation en chacun de nous, une limite très précise, comme la ligne qui sépare la face éclairée d'une planète de la face sombre. Je crois
qu'on appelle ça la ligne terminatrice.
Une tête pleine d'instruments d'observation. Un fouilleur d'esprit, un bourreur de crâne. C'est a ça que servent les psy, mes chers voisins et amis : ils sont là pour baiser les
malades mentaux et les engrosser de normalité.
La morale de l'histoire, c'est que quand on recrache le passé et que le présent est encore pire, ça rend le vomi presque appétissant.