Citations sur Simetierre (230)
Louis avait aussi la conviction que dans les familles nanties d'enfants en bas âge, le périmètre de plancher situé sous le canapé du salon finit par acquérir une force électromagnétique puissante et mystérieuse qui aspire l'un après l'autre toutes sortes de débris et d'épaves qui vont du biberon et de l'épingle à nourrice jusqu'aux crayons gras de couleur verte en passant par de vieux numéros de magazines enfantins aux pages collées par des restes de nourriture moisis.
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- Pour nous, la mort était à la fois une amie et une ennemie, reprit-il enfin. (...) En ce temps-là, on n'avait pas besoin d'aller au collège pour étudier la mort, elle venait de son propre chef vous faire une petite visite, et même des fois elle s'incrustait pour le dîner, elle vous collait après comme la merde au soulier.
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[...] Louis s'était rendu dans la pharmacie et il avait avalé un comprimé de Tuinal, un barbiturique d'une efficacité redoutable que le premier compagnon de chambre qu'il avait eu à l'école de médecine désignait sous le sobriquait affectueux de « Train du rêve ». « Monte dans le train du rêve avec moi, Louis, lui disait-il, et je mettrai un disque de Creedence. » La plupart du temps, Louis déclinait poliment, et il avait sans doute bien fait de se montrer circonspect ; son camarade de chambre s'était fait lamentablement recaler à tous ses examens et son « Train du rêve » l'avait finalement débarqué au Vietnam, où on l'avait affecté comme brancardier au Service de Santé. Quelquefois, Louis l'imaginait dans son antenne de campagne, défoncé jusqu'aux oreilles et écoutant Creedence dans Run Through the Jungle.
Magne-toi, bon Dieu, magne-toi, il faut décamper d’ici en vitesse,
tu n’as déjà que trop tiré sur la corde !
Mais il resta planté là, le cadavre de son fils dans les bras, dérouté, à
court d’idées. Puis un grondement de moteur se fit entendre et, sans
réfléchir, il se rua sur la portière côté passager, l’ouvrit et posa son paquet
sur le siège.
Tandis que Louis était assis au bord du lit, engourdi par sa gueule de bois abrutissante, à quelques pas de la fenêtre sur laquelle la pluie déroulait de paresseux serpentins d'argent, sa peine s'abattit sur lui de tout son poids, telle une grise gardienne montée du fond du purgatoire. Elle s'abattit sur lui, l'anéantit, lui ôta toute sa vigueur d'homme, fit tomber ses dernières défenses. Il enfouit son visage dans ses mains et il pleura en se balançant d'avant en arrière sur le lit. Il aurait fait n'importe quoi pour qu'on lui laisse une seconde chance, absolument n'importe quoi.
La mort est un mystère, et la sépulture un secret.
N'y pense même pas. Fais-le, tout simplement.
Quelquefois c'est possible. Peut-etre que ça lui apprendra quelque chose au sujet de la mort, quelque chose dont la plupart des gens ne sont pas conscients, et qui est que la mort n'est pas seulement la fin de la vie, mais le lieu où la souffrance cesse et où les bons souvenirs prennent racine. Ce sont des choses que vous ne pourrez jamais lui expliquer ; il faudra qu’elle les comprennent par ses propres moyens.
De sa propre enfance, il avait gardé le souvenir d'enthousiasmes violents mais éphémères, qui brûlaient d'une belle flamme mais se consumaient comme un feu de paille, et c'était bien ce qu'il retrouvait chaque jour en regardant vivre Ellie.
- "La fausse modestie était le début de l'orgueil."