Fenêtre sur la peur

Son cœur battait fort sous l’effet de la peur, mais aussi d’une rage froide dont il était le premier effrayé. Il n’avait pourtant jamais eu un tempérament coléreux et craignait que cette fureur inconnue mette en péril sa maigre chance de survie. Les bottes aux pieds, la tête emmitouflée dans la capuche de la combinaison, il suivit les trois hommes jusqu’à l’immense garage où Hollister entreposait sa collection de véhicules de luxe : une Lamborghini Huracán, une Rolls-Royce Phantom, une Bugatti Chiron, un blindé Gurkha du constructeur Terradyne, une vingtaine d’autres encore, exposés comme dans un showroom automobile, des spots braqués sur les jantes. Ils rejoignirent un VelociRaptor 6 × 6 Hennessey, un énorme véhicule inspiré du Ford F-150 Raptor à six roues uniquement disponible sur commande, doté de nombreuses options. L’un des rayshaws prit place derrière le volant pendant que ses deux compagnons s’installaient de part et d’autre de leur prisonnier sur la banquette arrière.

Le visage délicat de la jeune femme, son corps magnifique de déesse échappée d’un panthéon inconnu se détachaient en noir et blanc sous ses yeux, à la façon d’un film des années 1930. Seul le foulard de soie et l’éclair échappé du canon dessinaient des taches de couleur tandis qu’elle s’effondrait avec grâce sur la terrasse enneigée sous le regard indifférent de Hollister.

Tom comprit qu’il serait vain d’en appeler à l’empathie de ces êtres qui n’avaient plus rien d’humain, en dehors de leur apparence. Si leurs traits étaient différents, tous affichaient la même expression neutre, dépourvue d’émotion.

Leur regard glacé était aussi impersonnel qu’un œil de caméra. On aurait pu croire qu’une femme ne leur avait pas donné le jour, qu’ils étaient sur terre pour incarner la violence, la barbarie, la cruauté et le meurtre.

Les gens se laissent éblouir par les nouvelles technologies, mais elles sont porteuses de réalités infiniment plus sombres. Les horreurs qui n’ont pas encore été inventées le seront demain.

À l’époque où j’étais dans… à l’armée, j’ai pu constater à quel point les ennemis de la liberté ont investi tous les rouages du pays, aussi bien les services publics que le secteur privé. La férocité avec laquelle ils vous font passer pour un monstre me laisse à croire que vous avez raison au sujet de cette épidémie de suicides, que tout ça est savamment… orchestré.

Les belles femmes dans votre genre utilisent rarement autant de maquillage, d’ombre à paupières, ou un rouge à lèvres aussi vif. À défaut d’embellir vos traits, vous cherchez à les cacher.

La femme en question pouvait aussi bien être de chair et d’os qu’un fantôme. Dans le premier cas, c’était un excellent remède contre une agression, à moins qu’elle ne voie aucun inconvénient à ce que son mari soit un violeur, quitte à lui prêter main-forte au besoin.

La majorité de nos congénères sont impétueux, imprudents, ignorants, superstitieux et coupables de comportements irrationnels. Si nous les modifions, c’est précisément pour leur bien et celui de cette planète si fragile.

La version qui leur est réservée les a intégralement privés de mémoire et de personnalité propre. Ils sont programmés pour devenir des gardes du corps prêts à donner leur vie pour leur maître. Leur maître, Tom, c’est moi, et si je leur ordonne de vous tuer, ils le feront sans l’ombre d’une hésitation.