En Irlande, il arrive quelquefois que les fous soient pris pour des saints.
Ecouter le volcan cracher ce qu'il à dire. Ne jamais le laisser s'éteindre.
Je n'ai pas cherché à comprendre. J'ai juste voulu témoigner, raconter les enfants de Belfast qui n'existaient pas, leurs jeux de guerre avec des petits soldats qui, défaut d'être en plomb, leur en balançaient du vrai à la gueule. Pour un drapeau hissé bien haut, pour une pierre jetée comme on se se débarrasse d'une rage, parce qu'ils habitaient là et pas ailleurs, parce qu'ils étaient l'enfant d'un tel plutôt que celui d'un autre.
- ... Nous nous apprenions mutuellement des mots et des chanson en gaélique, en français, en breton.
-Le fou rire est une langue universelle.
Dans la guerre, les enfants n'existent pas...
Ce conflit, il m'a semblé que seuls les Irlandais pouvaient vraiment le comprendre, le résoudre et s'en débarrasser un jour, le jetant dans un caniveau où j'avais laissé glisser ma carapace infantile. J'ai enfoui tout ça, au plus profond. Mais pas là où il fait froid et où l'on congèle pour l'éternité les pensées inutiles ou dérangeantes. Au contraire, là où ça continue de bouillir, lave incandescente qu'un cerveau peut recracher un jour, comme un volcan faussement endormi, désireux de rappeler que la terre qui nous nourrit et nous voit grandir, c'est d'abord lui qui l'a faite.
Kris, postface
Mais quand un soldat vous vise à la tête et que, le temps d'une fraction de seconde, vous êtes persuadé qu'il va tirer, l'enfant s'efface. Définitivement. Il meurt, il crève sur place. L'enveloppe d'inconscience et de naïveté qui l'emmitouflait chaudement depuis sa naissance se déchire aussi sec.
Comme d'habitude, je n'ai pas pris de recul. Dans un ghetto, il y a de toute façon toujours un mur quelque part pour vous empêcher d'en prendre.
- Marc m'a parlé de ces forts hier soir. Il parait qu'il y en a au dessus de chaque quartier catholique pour les surveiller. Le jeu favori des gamins, c'est de monter aux poteaux télégraphiques pour accrocher des drapeaux irlandais sous le nez des soldats anglais.
- Et le pire c'est que des fois, les mecs tentent le carton et leur tirent dessus!
- Carrément?! Tout ça pour un drapeau?!
- Ouias...Putain, je pensais pas que Belfast était aussi craignos quand même!
Oui, "Fuckin' Brits!" ... et "Brits out".
Comme un leitmotiv. Voilà ce qui a résonné après cette mésaventure dans le salon des Devlin où plusieurs habitants du quartier étaient venus prendre le thé.
Nous avons compris que ce genre d'attitude des soldats anglais n'était que la moindre des humiliations subies par les catholiques au quotidien. Mais que la même chose puisse nous arriver à nous, qui étions leurs invités, ça, ils ne le supportaient pas...