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Critique de Alzie


- “Ah ! non ! Les suffragettes me dégoûtent […] - Savez-vous ce qu'elles méritent les suffragettes ? le fouet et le harem...” C'est Colette qui parle en 1910 (citée p. 432). Un parcours novateur et désinhibé ne fait pas de vous une militante de l'égalité des droits. Pourtant Colette incarne mieux que tout autre une émancipation exemplaire à l'aube du XXe siècle. Etrangère à tout embrigadement ; on s'amuse à penser avec J. K. que « Minet chéri » a peut-être été vaccinée, petite, contre toute forme de propagande lors des tournées électorales avec le Capitaine son père… Journaliste et chroniqueuse de l'arrière des tranchées pendant la Grande Guerre (cf l'excellent livre de D. BonaColette et les siennes”, 2017), Colette fait le dos rond et quelques "écarts" pendant l'Occupation… Jamais où on l'attend, elle surprend toujours. Quelques repères biographiques font respirer le début du livre. Ils éclairent les soubassements psychanalytiques, théorisés longuement plus loin, d'une révolution féminine singulière, transmuant la jeune épouse naïve et blessée d'un sulfureux mari, en “expérimentatrice sans gêne” aux côtés d'hommes et de femmes de son temps ; transformant l'apprentie talentueuse de « l'atelier de Willy » en conquérante d'une forme et d'un style qui l'installe durablement sur la scène littéraire. Colette reste l'artiste aux métamorphoses successives : danseuse, mime, comédienne, journaliste puis femme de lettres accomplie et consacrée “grand écrivain”. J. K. rappelle l'enfance familiale provinciale – creuset mémoriel “kaléidoscopique” des écrits – encadrée du couple (d)étonnant de ses parents à Saint-Sauveur-en-Puisaye, ce territoire bourguignon du premier « alphabet de sensations » légué par sa mère, modèle (d'écriture) et personnage à part entière : « Sido », apparue dans “La Maison de Claudine”, à laquelle J. K. consacre de beaux développements (chapitre IV). Un territoire où Colette, les cinq sens en ébullition, tisse sa relation fusionnelle au monde. Colette plus proche qu'on ne l'imaginait de son père lui doit ce patronyme par lequel elle affirmera sa liberté de plume à partir de 1923 signant du seul nom “Colette”. La figure emblématique et très sympathique du père, soldat amputé de la jambe gauche et de l'écrivain sans oeuvre plus disséminée traverse aussi le livre. “Notre Colette”, patrimoine national pour certains, écrivain secondaire pour d'autres, singulière et plurielle apparaît ici en son être « polyphonique ».

Son évolution existentielle et artistique indissociable, entre norme et transgression d'une part, perversion et sublimation de l'autre, s'apparenterait in fine, en mode freudien, à un retour à la Mère en réalisant un voeu inaccompli du père (du moins c'est ce que je crois avoir tiré de l'hypothèse « Mère-version » de Kristeva). Notes, références et index, illustrations textuelles extrêmement nombreuses et variées à l'appui, font redécouvrir comme un continuum cohérent l'oeuvre de Colette qui se prête assez bien au double regard de grande connivence porté sur elle psychanalytique et littéraire. On comprend que son culte de la jouissance, ses intuitions sur la bisexualité ou sur les pulsions, sa capacité d'auto-analyse, les fantasmes qu'elle suscite par les thématiques transgressives qu'elle ose aborder dans ses romans ou écrits (Chéri, le Blé en herbe, le Pur et l'impur), ajouté à la puissance métaphorique et suggestive d'inspiration animalière ou florale d'une grande partie de son oeuvre, puissent avoir une telle résonance dans le champ psychanalytique. Mais c'est le regard littéraire et stylistique de J. K. sur la création multiforme de Colette qui séduit davantage et permet au lecteur de communier avec la romancière explorant et ouvrant tout grand les portes de l'intimité des désirs féminins (souvent anticipateurs de ce ceux de Colette) : « une scène érotique » narrative dont les héroïnes qui racontent l'amour et ses avatars, jalousies et deuils de l'amour, ne sont pas toutes des ingénues ; mélancolie et gravité pouvant affleurer sous le masque de la désinvolture. de communier aussi avec la mutante libertaire, devenue scandaleuse et homosexuelle impudique aux yeux de la société de la Belle Epoque, dont l'écriture, à dater des « Vrilles de la vigne » (1908), fait éclore un registre poétique et méditatif original et audacieux sous forme de fables, d'écrits courts, de morceaux et fragments, de nouvelles où s'incrustent des éclats de mémoire. Cette scène de « la jouissance autre », de l'extase par l'écriture peut-être pour Colette, adopte un style anti-narratif que Guillaume Apollinaire sera le premier à saluer. L'artiste entre en dialogue avec elle-même et avec l'univers dans un art où elle excellera, jusqu'à la fin de sa vie, réalisant l'affranchissement décisif de celle qui disait admirer Balzac et envier Proust (très beau chapitre IX - Ecrire toujours, entre Balzac et Proust). “Une créature féminine s'y reprend à plusieurs fois pour éclore”, a-t-elle écrit à l'occasion d'un souvenir d'adolescence (“La Cire verte” in “Le képi”). Hermaphrodite mentale, Colette est le “génie affirmatif”, que ce troisième volet d'une suite biographique consacrée au “génie féminin” approche et incite franchement à relire (après Hannah Arendt, Fayard, 1999 et Mélanie Klein, Fayard, 2000).

(Précision : ne pas confondre ce Tome 3 avec l'opuscule “Colette un génie féminin” publié ensuite aux éditions de l'Aube par J. K.).
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