Des pour et des contre, donc je vais commencer par ce qui m'a semblé représenter des défauts, parfois de taille :
- les notes de bas de page. Elles m'ont vraiment gonflée, parce qu'elles m'ont sortie de la narration et donnent l'impression que l'autrice tenait trop à la moindre de ses réflexions pour accepter d'alléger son texte. Comme si l'éditeur lui avait demandé des coupes et qu'elle n'avait pas pu s'y résoudre. Dans la plupart des cas, j'ai eu l'impression qu'elle me prenait pour une idiote en apportant des informations inutiles à l'histoire pour bien marteler son propos.
- un étalage d'érudition. Bien que passionnée par les questions d'étymologie, il m'a parfois semblé assister à un cours, qui là encore me sortait de l'histoire, car je ne voyais pas le rapport entre l'information donnée et ce qui se passait - et évidemment c'était toujours en note de bas de page !
Ceci étant dit, ce roman m'a paru magnifique et nécessaire, et je m'avoue assez choquée par les critiques négatives. Pas parce qu'on n'a pas le droit de ne pas aimer le livre, mais parce qu'elles me semblent être passées à côté du propos. Gloser sur le fait que les personnages sont privilégiés, c'est refuser de voir la violence systémique qui est pointée du doigt dans
Babel. C'est tout simplement, me semble-t-il, reproduire le point de vue du colon, qui est bien gentil, quand même, d'avoir pris sous son aile ces pauvres gens intellectuellement défavorisés, non ? de même, les critiques choquées parce que le livre semble un appel à la violence - ce avec quoi je ne suis pas d'accord - me paraissent n'avoir tout simplement pas évolué avec les personnages. Elles continuent de regarder le monde depuis leur position - bien privilégiée, elle, sans paraître vouloir entendre la souffrance ici proclamée.
Alors oui,
Babel est perclus de défauts, il est parfois moralisateur, mais manichéen, non, je ne suis pas d'accord. Victoire, Anthony, madame Craft, offrent des contrepoints à leurs acolytes. On ne lit ici que des trajectoires, on entend des voix, qu'on serait prêt à suivre ou non, des voix torturées, des voix modérées, des voix furieuses, d'autres ignorantes. R.F Kuang peint une société tout entière, ainsi que les individus qui la composent, et c'est, je crois, ce à quoi sert la littérature. La lecture, du moins : à se poser, et à écouter.