Sous ses allures de thriller, ce
Yellowface est avant tout une peinture acide de l'esprit compétitif dans le monde littéraire/éditorial, et plus spécifiquement aux Etats-Unis. Contrairement à la France qui continue à sacraliser le livre et les écrivains, les Etats-Unis n'ont pas peur de considérer ouvertement comme une industrie de l'entertainment, au même titre que celui de la musique pop ou du cinéma (il n'y a qu'à voir les différences entre leurs couvertures et les nôtres).
L'auteur mène son intrigue tambour battant, racontant la relation déséquilibrée entre Juniper et Athena, la première dont le premier roman est passé inaperçu et qui galère, et la seconde dont le succès littéraire est flamboyant. Juniper est presque une amie par défaut, car la réussite d'Athena tient tout le monde à distance : elles entretiennent une connivence de façade, Juniper jalousant Athena, et décortiquant ses manies tout en les enviant. Au bout de quelques pages, et d'un afterwork qui tourne mal (Athena invite Juniper chez elle, lui prépare des pancakes et s'etouffe avec l'un d'eux sous les yeux de son amie qui n'arrive pas à lui faire expulser le morceau étouffant), Juniper, non sans avoir prévenu les pompiers et attendu vainement une réanimation, s'enfuit de l'appartement d'Athena avec son ultime manuscrit.
Ce point de départ permet à
Rebecca Kuang d'exposer les rouages de la fabrique d'un best-seller à l'époque des réseaux sociaux et des questions qui agitent la sphère woke/progressiste (appropriation culturelle, démineurs littéraires etc.). Ecartant tout manichéisme, Athena et Juniper sont aussi faillibles, critiquables et attachantes l'une que l'autre, chacune incarnant un archétype de romancière prisonnière de ses contradictions. Tout le monde en prend pour son grade, des lecteurs aux auteurs, sans oublier les responsables marketing, tout en racontant le plaisir et la jubilation générées par l'écriture, et la peur de tous les auteurs de se faire dépouiller... tout en dépouillant les personnes qui les entourent.
Le bémol vient donc de l'aspect thriller, mis en avant par la quatrième de couverture, un peu faiblard, d'autant que la narration ne s'embarrasse guère de temps mort (donc pas de suspense ascendant). Deuxième bémol pour la traduction de
Michel Pagel, qui ne fait l'effort d'adapter des tournures de phrases typiquement anglo-saxonnes et traduit en mot à mot sans vergogne.
Hormis ces défauts,
Yellowface est une lecture plaisante, qui rafraichit le genre de la satire de l'édition et de la jalousie entre auteurs.