LES GLOBULES
Extrait 1
Une cavalcade de mâchoires intriguait à
juste titre le monde universitaire. Des buissons
d’antennes tout embranchées de fibres tentacu-
lant au prisme solaire de la science pure s’appli-
quèrent à l’analyse de ce petit fait pour bien voir
comment l’assimiler. Que se passait-il au juste ?
Mus par un nombre indéterminé de membres
Des globules globulaient globalement. Chaque
dent se hérissait d’un train de pattes qui préci-
pitait le goût du recommandable par zèle galo-
pant. Un œil triple évoluait au-dedans du corps
et déchiffrait les sept dimensions du relief infini-
tésimal, proliférant, protozoaire, primate, systé-
matique, putrescent et global.
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p.37-38
LES GLOBULES
Extrait 3
Rien ne trahissait une humeur quelconque
et leur regard si chargé d’intelligence à sept
dimensions ne visait qu’à congratuler. Après
digestion réciproque ils vomissaient quelques
restes qu’ils balayaient et poussaient dans un
bocal. Les jours de congrès permettaient à leurs
élus l’élaboration de projets constructifs. Un glo-
bule unique sortait du palais des cérémonies mais
il englobait la substance et les suffrages de tous
et sa taille s’était arrondie en proportion. Quoi
d’étonnant à ce que les académies les plus répu-
tées cachent mal un sentiment de honte. Quoi
d’étonnant à ce qu’elles acharnassent à conqué-
rir à leur tour des privilèges aussi mirlobulants.
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p.38
LES GLOBULES
Extrait 2
... Chacun de ces fil-
trages nourrissait son choix de glandes et la
synthèse obtenue pouvait influer sur tout l’es-
pace environnant. Des cerveaux s’étaient ame-
nuisés jusqu’à rouler au fond des crânes. Des
races entières avaient abjuré leurs tabous et
s’étaient converties au régime cannibalesque.
Les aurores boréales avaient ouvert dans le né-
ant un abcès formidable. Des pans galactiques
s’étaient écroulés comme une mer : le vide avait
crié muet en deçà du temps. Hors ces singularités
les globules affectaient des mœurs fort honnêtes.
À chaque occasion ils se saluaient avec modestie
puis, selon l’attachement qu’ils s’inspiraient ils
se gobaient mutuellement d’un seul et même
coup avec les marques de la plus délicate sym-
pathie.
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p.38
LE FOND DE L’ŒIL
Extrait 3
Regard perdu. Présence composée de présences.
Les ruines d’Halicarnasse pâles comme l’ivoire
sur les hauts-fonds de nuit repoussaient inacces-
sibles les sargasses où des épaves succombaient.
Une voix sourdait. Mais qu’importait ce souffle ?
Un borborygme, un murmure en arabesques fol-
les : la confidence d’un aliéné. Viscère produit
dans le brassage des ferments cosmiques, viscère
de parenté universelle et mille fois millénaire,
retentissant de tumultes infinis, extraits des gouf-
fres minéraux à force de faim et de concupiscence,
organisé pour organiser plus de vie. Œil de coq,
œil d’enfant, œil de blatte, ouvert aux nébuleuses,
hâte-toi de déceler le suprême indice, rejoins la
qualité d’être qui t’appelle de si loin car ta trajec-
toire se dissout et l’univers t’abandonne. Une be-
soin s’écarquillait comme une gueule. Un prurit
perturbait la géométrie.
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p.30-31
LES GLOBULES
Extrait 8
Finis les balbutiements et les vertiges. Les soleils
se lèvent mille fois, les crépuscules éperdus exal-
tent l’écume des cratères. Lorsque monte la nuit
des brumes les marées s’étendent qui étreignent
toute racine, les cités enflent et brisent en fumée
sous le passage tonnant des monstres de rouille.
Car voici que vient l’aube sans couleur et que gron-
dent les voix métalliques, voici que triomphent le
vide en fusion, le flux de vie qui s’insinue et inonde,
voici que les continents s’ébranlent, que les forces
promulguent : la vision s’est émancipée des cons-
ciences, le Verbe adressé à l’homme n’est plus
intelligible, voici le langage résorbé dans l’acte
innombrable que prononce l’univers ; voici que
s’abandonnent les larves mystifiées. ― Cepen-
dant l’idée s’usait.
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p.41