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Citations sur De Gaulle, tome 1 : Le rebelle (1890-1944) (23)

Le 23 août, Charles de Gaulle quitte Le Mans pour Chartres. Évoquant cette étrange progression oblique vers Paris, au gré d'une stratégie interalliée dont il est toujours prêt à contester le bien-fondé, il met surtout l'accent sur le climat populaire dans lequel il évolue : " Je me sentais entraîné par une espèce de fleuve de joie... ". Partout on l'arrête, on l'acclame, on le supplie de prendre la parole : il le fait avec profusion, et non sans émotion. Son esprit a beau être tout entier tendu vers Paris, les risques qu'y courent encore une population peu armée et un État dont l'autorité reste problématique, il sait participer à cet émoi que son nom, son apparence, sa légende suscitent.
C'est la veille, en arrivant au Mans, que se situe l'épisode le plus savoureux de cette chevauchée. A peine installé dans ses fonctions de commissaire de la République à Angers, Michel Debré a pris place dans la voiture qui conduit le général de Laval vers Chartres. En arrivant au Mans, la foule est devenue énorme. Un groupe de femmes enthousiastes bloque le véhicule et l'une d'elles, un bouquet à la main, clame : " Vive le maréchal ! " - et on la voit aussitôt affolée de sa méprise. Alors Charles de Gaulle prend le bras de Debré : " Comment voulez-vous qu'ils s'y retrouvent ? ".
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Mais le mieux est de laisser au mémorialiste le soin de commenter : dix ans plus tard, il s'analyse avec une formidable pertinence :
" ... Mon intention [était] d'aller d'abord, non point à l'Hôtel de Ville où siégeaient le Conseil de la Résistance et le Comité parisien de libération, mais " au centre ". Dans mon esprit, cela signifiait au ministère de la Guerre, centre tout indiqué pour le gouvernement et le commandement français. Ce n'était point que je n'eusse hâte de prendre contact avec les chefs de l'insurrection parisienne. Mais je voulais qu'il fût établi que l'État, après les épreuves qui n'avaient pu ni le détruire ni l'asservir, rentrait d'abord tout simplement chez lui. Lisant les journaux, Combat, Défense de la France, Franc-Tireur [...], je me trouvais tout à la fois heureux de l'esprit de lutte qui y était exprimé et confirmé dans ma volonté de n'accepter pour mon pouvoir aucune sorte d'investiture, à part celle que la voix des foules me donnait directement. "
Le propos est d'une telle éloquence, sinon bonapartiste, au moins consulaire, qu'on s'en voudrait de le noyer dans quelque glose. Mais il faut, sinon le nuancer, en tout cas le compléter par une confidence faite quelques jours plus tard à Louis Joxe et par un propos tenu le lendemain, dans ce même château de Rambouillet, à un jeune homme nommé Philippe Vianney.
Il expliquait ainsi à Joxe le choix du ministère de la Guerre pour " centre " du nouveau pouvoir, plutôt que Matignon, le Quai d'Orsay ou l'hôtel de Lassay : " je campe ici, vous comprenez pourquoi ? La guerre n'est pas terminée, il faut qu'on le sache pour le cas où on aurait tendance à l'oublier, et puis, le ministère de la Guerre, c'est Clémenceau. Je n'occupe d'ailleurs pas son bureau, notez-le."
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C'est un intellectuel : on veut dire quelqu'un dont la vie, les décisions, les actes sont inspirés et motivés par des idées. Certes, on a constamment marqué à quel point cet homme d'action se méfiait des doctrines et s'attachait à tenir compte des circonstances. Dans son esprit, en effet, les doctrines sont nocives en ce qu'elles coagulent en systèmes le libre mouvement des idées. Ce machiavélien est un idéaliste qui, attentif au réel, le conceptualise par un constant effort de volonté. Dans la formule fameuse qui lui sert à jamais de devise : " Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France ", le mot clé semble être " fait ". Inspiré par une idée, certes : mais par une idée qu'il s'est faite, qu'il a sculptée à son image, exigeante, orgueilleuse, inaccessible. On dirait d'un jansénisme de la France.
Réaliste, de Gaulle ? Certes, dans les visées immédiates et les procédures, et dont la stratégie n'est presbyte que pour corriger la myopie générale qui sévit autour de lui dans le pouvoir, les institutions, l'entourage, dans le siècle... Mais c'est un réaliste de l'imaginaire qui " traite ", manipule et triture de sa main puissante des données préalablement modelées par son génie inventif. Et Dieu sait si, conjuguées, la volonté et l'imagination de Charles de Gaulle s'entendent à modifier les données du réel tel que le voient les petits hommes...
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Bref, ayant depuis bien longtemps cessé d'être monarchiste - s'il le fut jamais au-delà de l'adolescence - il s'est affiché républicain. Entrer dans un gouvernement de la IIIe République - fût-il le dernier, et le plus infirme - lui sera un honneur, et durant toute la crise, il sera l'allié le plus intime des champions de l'esprit jacobin - Reynaud, Mandel, Marin, Campinchi, Jeanneney, Herriot - contre les " grands chefs " militaires que navre moins la défaite si elle peut être présentée comme celle du régime démocratique.
Certes, ce n'est pas une idéologie qu'il défend - et on le verra à Londres fort prévenu contre certaines personnalités symboliques du parlementarisme - mais un état d'esprit fondant une stratégie. Son seul critère est alors l'esprit de refus au IIIe Reich. Peu lui chaut que Kérillis soit de droite ou Lagrange de gauche : c'est à leur attitude face à l'entreprise nazie qu'il les jugera. Il a admiré Tardieu, mais rompu avec lui dès son ralliement au clan du compromis avec l'Axe. Il a dédaigné Blum, mais s'est voulu son allié dès que le leader socialiste fut mis au rang des " bellicistes ".
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Il traverse avec une noblesse très consciente d'elle-même, mais sans condescendance, ce peuple meurtri pour lequel sa présence est comme une levée d'écrou. Prêtons attention à ce geste des mains entrouvertes qu'il trouve alors, des mains offertes à la foule émue. Un geste de " tapisserie ", que l'on dirait inventé par Péguy.
Se dit-il alors, comme Clémenceau au soir du 11 novembre 1918 : " Je voudrais mourir maintenant " ? Lui, moins sentimental, moins personnel, plus orgueilleux encore, il pense à l'histoire de France, à la place de la France dans le monde, à sa place dans l'histoire de la France.
Le Sacre est fait.
Le rebelle est devenu le souverain.
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Mais le conflit est sur cet homme, en cet homme. Il n'a pas plus tôt poussé ce cri de vérité, ce cri de ralliement, qu'un débat va renaître. Bidault, au bord des larmes, se tourne vers lui : " Mon général, nous vous demandons ici, au nom de la France résistante, de proclamer solennellement la République devant le peuple rassemblé. " L'idée est belle, et digne de l'instant que vivent ces hommes. En cinq phrases cinglantes, qui tombent comme des coups de sabre sur le malheureux Bidault, le Connétable la foudroie :
" La République n'a jamais cessé d'être. La France libre, la France combattante, le Comité français de libération nationale (*) l'ont tour à tour incorporée. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moi-même suis le président du gouvernement de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ? "
* Pas question ici du CNR...

C'est la thèse, marmoréenne, de la légitimité assumée depuis le 18 juin 1940, qu'il a opposée à Alger à ceux qui avaient déjà tenté de lui faire adopter cette idée. La leçon n'est-elle pas trop dure, humiliante ? Edgard Pisani, alors bras droit de Luizet, écrira trente ans plus tard : " Il avait peut-être raison. Mais ça nous aurait fait tellement plaisir ! " Certains déjà, au CNR, au CDL, songent à relever ce " défi ", à prendre leur revanche de cette " distance " qu'il ne cesse de marquer. Tandis que, non content d'apparaître à la fenêtre de l'Hôtel de Ville, de Gaulle se hisse debout sur le rebord, géant dans sa niche, et fait ainsi redoubler l'ovation, ils envisagent de proclamer, en son absence et malgré lui, dans un climat d'amertume enfiévrée, cette République qu'il prétend incarner sans trêve.
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Aventurer à travers une marée humaine ce personnage symbolique, éminemment irremplaçable, au cœur d'une ville où l'ennemi se terre encore, enfiévré de sa défaite, où d'innombrables séides du régime abattu ne peuvent penser qu'à la revanche ou à la vengeance, quelle folie ! Mais quoi ? Quand on a commencé par le 18 juin…
(...)
Le film qui a été alors tourné, ce qui nous en reste en tout cas, montre la haute stature dominant les visages levés comme dans une Ascension du Greco, ses bras qui semblent figurer une lyre, le visage livide du géant renversé en arrière comme pour une consécration… Un climat proprement mystique. Et la voix fameuse qui psalmodie ces phrases intensément lyriques, à la dimension du moment, ces phrases jaillies de cette communauté enivrée et consciente… Là, de Gaulle est vraiment l'interprète de la nation, l'écho des grands orateurs chrétiens aussi bien que des conventionnels appelant à la levée en masse : car il s'est trouvé que ce stratège machiavélien était aussi, porté par l'évènement, un grand orateur populaire…
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C'est ce même 24 août [1944] que le général reçoit un télégramme qui l'émeut : le roi George VI, ayant entendu la BBC annoncer que Paris était libéré (l'anticipation peut être une forme d'information ...), lui exprime la " profonde émotion " qu'il éprouve en apprenant que " les habitants de Paris ont chassé l'envahisseur " et conclut sans emphase excessive : " Je me réjouis avec Votre Excellence, en cette heure de leur triomphe, comme je me suis associé à eux pendant leurs longues années de souffrances. " Texte dont le Connétable, jamais à court d'analyses décapantes, jusque dans les heures de triomphe, tire argument pour opposer entre eux ses alliés, la chaleur des Anglais contrastant avec le ton empreint d'une certaine " aigreur " de la Voix de l'Amérique.
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C'est un soldat. Jusqu'à l'époque où nous sommes - août 1944 - il ne se hâte guère de dépouiller l'uniforme, même quand il s'agit de charmer chefs politiques ou hommes d'Etat étrangers peu suspects de militarisme, et ne se " met en civil " que dans l'intimité familiale. Il se plaît (n'est-ce qu'affectation ?) dans les sangles, harnois, ceinturons, baudriers, bottes et leggins - tout ce qui gêne un homme ordinaire. Il a beau mépriser - en paroles tout au moins - la presque totalité de ses confrères, il retient mal des réflexes corporatifs, adore reprendre le style d'état-major, rédiger des communiqués, user du vocabulaire de caserne et même ressortir les vieilles plaisanteries de Saint-Cyr. Et il consacre beaucoup de pages de ses Mémoires de guerre aux affaires de boutique.
La guerre n'est jamais que la forme la plus convulsive de la politique, c'est vrai. Il le dit et l'écrit. Et dans l'ordre des valeurs, il place l'écrivain au-dessus du grand commis de l'Etat, et celui-ci au-dessus de l'officier. Mais enfin, sa profession est là. S'il a peu d'estime pour les militaires, il prise fort les guerriers. Le métier des armes, il l'a choisi, l'a fait avec passion et l'aime encore assez pour lui réserver ses sarcasmes les plus féroces.
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D'emblée, c'est le géant qui frappe les imaginations. Ces cent quatre-vingt quatorze centimètres propulsés au-dessus des agitations moyennes de ses contemporains retiennent l'attention des plus indifférents, et aussi cette façon irrationnelle qu'il a d'en user, semblable à ces colosses de kermesses flamandes agités par Till l'Espiègle. Bizarres moulinets, surprenants sursauts, étranges élancements. Rien de moins conforme aux us et coutumes, aux qu'en-dira-t-on, normes anthropologiques et règles innombrables forgés au pays de Vaugelas et de M. Faguet.
"Drôle de corps", dit-on d'un original. Aucune formule ne lui sied mieux. Il n'a pas fini d'étonner son monde rien qu'à entrer dans une pièce, rien qu'à dresser, au-dessus du populaire, ses bras en forme de mât de cocagne. Et pour peu que le terrain s'y prête, comme aux abords de Montcornet en mai 1940, il juge bon de hausser sa grandeur sur quelque butte, remblai ou talus pour mettre encore d'autres couches d'air entre le regard de ses interlocuteurs et le sien. La foudre doit tomber de haut.
Ensuite, la tête. Surmontée ou non de ce képi en forme de tuyau avorté que l'armée française inflige à ses gradés les plus considérables, elle bourgeonne en méplats improbables, en un nez surtout dont l'ampleur bourbonienne s'accentue d'être braquée sur le contradicteur comme une bouche à feu, si massif qu'il a confisqué l'aspérité du menton et fait oublier un front cerné de mèches brunes qu'on dirait plaquées là par une pluie imaginaire.
Visage d'avant notre époque moyenne et ordonnée, tête pour le heaume, la fraise ou la perruque, face comme un parchemin griffonné par Froissart ou Commynes qu'éclairent d'un feu circonspect les yeux petits, dardés comme la baïonnette d'une sentinelle du fond des orbites en forme de caverne.
"Un homme à peindre", eût dit un bon auteur du temps où le Louvre n'était pas encore un musée, non sans ajouter : "Quelle physionomie" ! Peint ou pas (il le sera très peu), il saisit, déconcerte et refuse de se laisser oublier. Maréchal de Guise, cardinal de Montmorency ou sénéchal des Ardennes, combien de portraits de cette sorte ornent les salles d'armes de très vieux châteaux de chez nous, entre la cuirasse du capitaine des mousquets et l'écu du mestre de camp ? Sous les murailles de Jérusalem, Godefroy de Bouillon et Renaud de Châtillon durent avoir la démarche lourde, les gestes démesurés, les éclats de voix, les coups d'œil fulgurants que les Français vont apprendre à connaître en cet été 1944, après Winston Churchill, Robert Murphy et Henri Giraud...
Ce corps singulier l'embarrasse-t-il ? Il s'en soucie comme d'une guigne, n'étant incommodé ni par le chaud ni par le froid et restant fort peu sensible à la douleur - éprouvée du fait des blessures de 1914 à 1916, mais non de maladies dont il fut presque toujours exempt - hormis deux crises plus ou moins d'origine paludéenne qui l'ont terrassé durant quelques jours, à Londres en mars 1942 et à Alger en janvier 1944.
Les intempéries lui sont indifférentes. Il a bon appétit, mange vite, boit modérément et peut supporter un long jeûne - au moins à l'époque où nous sommes. Cette grande carcasse où il abrite son grand rêve ne l'incommode pas. Il y voit plutôt quelques avantages : d'abord qu'elle le transforme en sémaphore, donnant à ses gestes, au V que dessinent ses bras, une ampleur surhumaine ; ensuite qu'elle lui donne une valeur d'enseigne vivante : " A la plus grande France. "
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