J'aime les livres de
Marie-Hélène Lafon à la folie et je retarde toujours un peu le moment d'en découvrir un que je n'ai encore jamais ouvert.
J'aime l'idée qu'un de ses romans est là, qui m'attend encore et la beauté et le plaisir avec lui.
"
Joseph" me faisait envie depuis longtemps et m'attendait au pied du sapin. J'ai un peu attendu et puis le moment est venu. Quant il aurait fallu le gouter, le savourer, moi je l'ai dévoré. Je crois même l'avoir préféré à mes préférés: "
L'annonce", "
Les Pays" et "
Histoire du Fils"...
Joseph n'est plus tout jeune, c'est un ouvrier agricole qui s'est loué de ferme en ferme dans son coin du Cantal. C'est un taiseux, un silencieux sans doute plus à l'aise avec les animaux qu'avec les hommes qu'il ne comprend pas toujours… ou qu'il connaît trop bien. Il ne parle pas beaucoup, mais il regarde, il observe : le passage des saisons, les bêtes, la patronne qui remplit ses grilles de mots croisés, la patron, les voitures qui empruntent les coursières, le ciel. Et puis, il se souvient. L'enfance et puis l'école, les bals, ceux qu'il a aimé et qui sont partis : le père qui buvait un peu trop, le frère jumeau installé en Normandie après le service, la mère qui n'aimait plus la ferme. Et Sylvie. C'est que la vie n'a pas été tendre avec
Joseph ou alors c'est qu'il était trop gentil. Ses pensées sont un fil qu'on dévide et qui nous emmène au creux de lui et de sa solitude tranquille. Il y a bien un trou de quinze ou seize ans dans la mémoire du paysan... c'est que c'était trop dur de vivre à ce moment-là et que la bouteille n'était jamais loin... Mais il va bien aujourd'hui et tout doucement, il convoque des images, des bribes de souvenirs, des pensées qu'il nous offre en partage.
«
Joseph » est un roman bref mais dense, c'est une respiration. Une seule. Presque une seule phrase qui court sur un peu plus d'une centaine de pages. C'est un fil qu'on attrape et qu'on remonte, on pourrait presque le faire sans respirer mais l'apnée est douce au plongeur qui accepte de se laisser happer par les profondeurs. Il n'y a pas vraiment d'intrigue : c'est le roman d'un homme comme les autres, ni plus ni moins avec ses petits bonheurs et ses chagrins, ses failles et ses douleurs. C'est le roman d'une vie.
Comme toujours et malgré cette forme particulière, la langue de
Marie-Hélène Lafon est d'un limpidité d'eau de source, d'une clarté éblouissante sans être trop nue, trop sèche. Il y a beaucoup de poésie dans son écriture, de cette poésie qui jaillit du quotidien pour qui sait la voir. C'est une langue rigoureuse, ciselée aussi : chaque mot est à sa place dans une ordonnance parfaite, virtuose. La langue de
Marie-Hélène Lafon se savoure sur le papier ; lue à voix haute, c'est un cadeau.
Et puis au delà de cette espèce de pureté formelle, il y a toutes l'émotion que renferme «
Joseph ». le roman est poignant, profondément touchant et son personnage principal est bouleversant de tendresse et de mélancolie, de profondeur.
A travers lui et le récit fragmenté de sa vie à la fois simple et âpre,
Marie-Hélène Lafon rend hommage au monde rural et agricole, à ce monde qui a tant et irrémédiablement changé. A ce monde qui sent bon la terre et la sueur mais que les jeunes ont fui parfois, laissant les plus vieux avec leurs souvenirs et leurs bols de café sur la toile cirée, sans savoir la beauté de l'automne derrière un vol d'hirondelles. C'est que le Cantal peut-être beau comme « La Montagne » et
Joseph est un moment de grâce.