« Ils savaient comment faire, et que ça s'arrêterait avec eux. »
Lors de ma dernière lecture (
Selon Vincent de
Christian Garcin), j'avais relevé cette citation : « Le monde n'est pas peuplé de gens mais d'histoires »
Marie-Hélène Lafon nous prouve le contraire.
Joseph, c'est un homme , une vie qui passe, sans histoire mais pleine de petits riens qui font un tout. Un homme à peine regardé, empêché en quelque sorte, dont l'ultime espoir est de ne pas être enterré comme un chien.
Un homme qui n'a guère la parole, guère de place. Qui est là sur le côté, qui observe, note, encaisse et se souvient dans une humilité sans tristesse, car tel est le monde.
Marie-Hélène Lafon avance pas à pas , opiniâtre, décrit les gestes qui reviennent, les mots et les non-mots, ces émotions qui ne savent pas s'exprimer, faute de mots, et faute d'oreilles prêtes à les recueillir. Elle sait parler de gens dont la vie est hors de notre monde de vitesse et de plaisir, un monde de travail , de devoir, de patience et qui se meure. Un monde de rituels qui sécurisent , et d'angoisse à se savoir les derniers, à n'avoir nul à qui transmettre.
Joseph n'est pas un homme heureux, épanoui, comme nous l'envisageons nous, mais un sage un résigné, qui se satisfait de son sort, s'applique à bien réaliser ce qui se doit. Il a toujours mieux su y faire avec les bête qu'avec les gens, dit-il. Et alors, ça n'est pas donné à tout le monde...
Ce livre de vie de
Joseph est vraiment touchant. S'il n'exprime pas d'affect, c'est que ce droit-là ne lui est pas reconnu. Il plonge tête en avant dans le chemin à suivre, le travail à faire, les rituels à respecter, les convenances à ne pas bouleverser et quelques listes et calculs pour affirmer son moi . Il avance sans chambouler cet équilibre aussi austère que précaire, dont la rupture serait d'une douleur insupportable.
Joseph avec son savoir ancestral, son chemin tout tracé, au fil des heures et des années, sa place qu'il sait garder face aux patrons - qui jouent sans doute mieux leur rôle que sa famille n'a su le faire - et face au monde.
Une vie insignifiante dont
Marie Hélène Lafon se réapproprie les mots pour mieux lui donner la parole, et en dénicher et nous communiquer le sens.