J'ai fait comme d'habitude, j'ai lu la 4e de couverture. J'ai ainsi appris qu'à l'origine de ce livre, il y a la nuit que l'autrice,
Lola Lafon, a passé à Amsterdam, dans la fameuse Annexe où Anne Franck est restée enfermée pendant plus de deux années.
Rappel rapide de ce que tout le monde sait déjà : de l'été 1942 à l'été 1944, Anne, alors adolescente, s'est terrée avec ses parents, sa soeur et quatre autres personnes dans cet endroit affreusement exigu afin d'échapper aux rafles de juifs et aux camps de concentration. Elle y a tenu un journal dans lequel, avec une extraordinaire maîtrise de l'écriture pour son âge, elle décrit son quotidien et ces horribles conditions de vie. Elle parle de ses peines, de ses espoirs, de son éveil à la sexualité, de la peur, des échos de l'extérieur en guerre, des difficultés de tous les jours, etc. Finalement, ils ont été délogés, déportés, et Anne est morte à 16 ans du typhus au camp de Bergen-Belsen, un mois avant la libération. Des millions de gens dans le monde ont lu ce fameux « journal » et ont pleuré dessus. Puis sont passés à autre chose.
J'ai naturellement cru que ce bouquin parlait d'Anne Franck, cependant je me suis trompé. Anne est évidemment très présente dans les pages de
Lola Lafon, mais elle parle surtout d'elle-même, et c'est aussi émouvant que le journal. Car ce que j'ignorais, c'est que l'autrice est également juive. Elle a grandi en Bulgarie et en Roumanie, sa famille a subi les atrocités de la Shoah. Ce passé, cette famille décimée, ces souffrances décrites par Anne, elle les connaît par elle-même.
« Nos arbres généalogiques ont été arrachés, brûlés, calcinés. »
Les émotions liées au funeste destin de la petite Anne qui nous ont mis les larmes aux yeux, Lola les retrouve en elle, dans ses parents, dans ses ancêtres, dont un nombre important a été massacré avant sa naissance.
Le récit de ce livre commence avec la décision de passer une nuit en ce lieu, mais très vite, l'autrice nous entraîne dans son histoire personnelle. L'enfance, en rien comparable à celle des autres gosses. Comment s'étonner, alors, que Lola ait tant de mal à simplement pénétrer dans la chambre d'Anne ? Elle écrit, avec franchise « Je ne parviens pas à entrer dans la chambre d'
Anne Frank ». Et ailleurs « face à la porte de sa chambre, j'ai hésité, reculé ».
Désormais, l'Annexe se visite. Chaque année se pressent des milliers de touristes venus chercher la présence d'Anne. Mais il n'y a là que l'absence, mise en exergue par quelques traces terribles.
« La présence de la trace témoigne de l'absence de ce qui l'a formée. Les traces ne donnent pas à voir ce qui est absent, mais plutôt l'absence même. »
Tout au long de cette nuit, Lola va faire un voyage au fond d'elle-même, et vers son enfance. le lecteur devine très vite qu'au terme de ces heures si particulières, elle franchira enfin le seuil de cette chambre. Elle franchira aussi celui d'une importante porte en elle-même. Car parmi les nombreuses injustices qui forment le passé de l'autrice, il en est une qui a une place à part. Un jeune homme. « Je n'ai jamais écrit son nom ailleurs que dans mon journal intime. » Elle l'écrit ici, son nom, dans ce livre, dans la chambre d'Anne Franck, et elle trace pour nous la vie de ce gamin de quinze ans. Elle explique aussi le titre de son bouquin, qui m'a touché bien au-delà de ce que j'imaginais en l'ouvrant.
« Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu'on ait pu le comprendre, nous sommes faits d'histoires qui ne nous appartiennent pas. »