(...) quelles spécialités médicales avaient pu engendrer, secréter d'elles-mêmes un discours eugénique qui leur était propre, sans apport extérieur.
C'est le cas, par exemple, de la puériculture. Le docteur Caron invente en 1864, et le mot, et la science, à laquelle il assigne pour tâche l'élevage des enfants, l'hygiène de la grossesse mais aussi - et c'est là qu'on touche à l'eugénisme -, l'hygiène préconceptionnelle.
Or, c'est ce mot et ce programme en trois volets que reprend Pinard en 1895, Pinard qui sera le vice-président puis le président de la S.F.E., et déposera à la Chambre en 1926 un projet de loi visant à interdire le mariage aux contagieux, bref un des eugénistes les plus féconds. Pinard, dont la vie s'étale sur le XIXe et le xxe siècle (1844—1934) illustre parfaitement, avec la puériculture, cette continuité de l'eugénisme français : continuité pré-galtonienne, mais aussi étrangère à la problématique darwinienne, puisque l'eugénisme naît dans ce cas de la volonté d'avoir de beaux et gros bébés...
Très jeune elle aussi, l'histoire des infirmières s'est d'abord placée dans le même cadre conceptuel. Soucieux de se donner des auxiliaires compétentes mais obéissantes, les médecins auraient détourné à leur profit la vocation soignante des femmes en la vidant de sa substance. Tout le savoir autonome des femmes aurait été éradiqué dans les écoles d'infirmières, au profit d'une sorte de sous-culture médicale normalisée. Après ces dénonciations est venue l'heure de livres plus sereins faisant leur part au côté libérateur de cette nouvelle profession féminine.
Avec V. Leroux-Hugon, on dispose enfin d'un dossier où l'on peut juger sur pièces. Dans ce livre, l'infirmière n'est plus un personnage idéal défini par les règlements médicaux, mais un être de chair et de sang. Les projets eux-mêmes deviennent plus complexes et l'on apprend à distinguer entre les projets de E Nightingale et ceux de Bourneville.