> LONG.
Long cet assaut, longues ces minutes d'horreur dans les locaux de
Charlie Hebdo, au matin du 7 janvier 2015.
Longs les 10 mois suivants, long le calvaire enduré par
Philippe Lançon, longue la reconstruction faciale, la cicatrisation du corps et de l'esprit, longues les opérations chirurgicales répétées et les nuits de douleur.
Et long, trop long son témoignage...
> HACHÉ.
Haché le récit de l'attaque, le staccato des coups de feu.
Haché-menu le visage de Lançon, mâchoire en miettes, chair et denture broyées.
Haché aussi son texte, décousu, presque destructuré, qui mêle introspections, journal de bord des soins quotidiens, chronologie des interventions chirurgicales et souvenirs divers, évocations d'amis, de voyages, d'habitudes anciennes, réminiscences du monde d'avant analysées/décortiquées/autopsiées à la lumière clinique du monde d'après.
> ÉPROUVANT.
Éprouvante cette immersion dans le milieu hospitalier, émaillée de comptes-rendus médicaux nombreux et approfondis.
Éprouvantes les descriptions détaillées des plaies, escarres, mutilations et autres stigmates peu ragoutants, éprouvant le lent retour à la vie, la résurrection d'entre les morts, plutôt la réincarnation dans un corps nouveau, meurtri, étranger.
Éprouvante enfin cette lecture, qu'à mon grand regret j'ai eu bien du mal à terminer...
* * *
Bizarrement (oserais-je l'avouer ?), je n'ai jamais réussi à entrer vraiment en empathie avec l'auteur, alors même qu'il revient de l'enfer et aurait dû fort logiquement susciter toute ma compassion.
C'est quand même un comble !
Si quelqu'un devait m'émouvoir, c'était pourtant bien cet homme en reconstruction, ce blessé de guerre parisien, cette gueule cassée si singulière tombée au champ d'honneur (non pas dans la boue de Verdun, ni dans celle de Kaboul ou de Diên Biên Phu, mais plutôt sur la moquette d'une petite salle de réunion tout à fait commune, rue
Nicolas-Appert, Paris XIème, en pleine conférence de rédaction).
L'autoanalyse à laquelle se livre
Philippe Lançon, si elle n'est pas dénuée de style et bien souvent de pertinence, est tellement diluée dans un gloubiboulga de digressions en tous genres (souvenirs de voyage, d'articles de presse, de rencontres, réfèrences pêle-mêle à
Houellebecq, Kafka ou
Proust...) que j'ai plus d'une fois perdu le fil.
Il est difficile - et sans doute malvenu - de qualifier "d'égocentrique" la victime innocente (par définition) d'un attentat terroriste, mais je reconnais honteusement n'avoir pas éprouvé de sympathie particulière pour un narrateur qui, s'il fait preuve d'une impressionnante faculté de distanciation, n'hésite pas à se mettre en scène sur plus de 500 pages avec une franchise et une simplicité qui m'ont parfois semblé trop artificielles...
Philippe Lançon est donc un survivant bavard, il aime à ressasser, à détailler chaque recoin de sa chambre 106 et à forer toujours plus loin le gouffre béant de son traumatisme.
Ce pavé largement encensé fit-il partie intégrante de sa convalescence ?
Certainement.
Qu'y ai-je découvert ? Que vais-je en retenir ?
Rien dont je n'avais déjà que trop conscience : l'horreur absolue de la barbarie islamiste et la souffrance infinie de ceux qui tentent de s'en relever.
J'espère au moins pour l'auteur du dit pavé - à la qualité littéraire indéniable - que cette thérapie par l'écrit fut efficace. Je regrette seulement que, trop accaparé par ses maux ("je ne souffrais pas, j'étais la souffrance", rien que ça !), il n'ait pas d'avantage intégré à son récit les autres victimes de la tuerie.
La plupart étaient pourtant ses amis : ils méritaient je trouve un hommage un peu plus appuyé, à l'image de celui que l'auteur adresse à "sa" chirurgienne, à "ses" infirmières, (notamment celle en charge du renouvellement des pansements, qu'il nomme joliment sa "Marquise des langes" !) et par extension à l'ensemble du personnel soignant.
Nous savons tous en cette triste année 2020 combien ces remerciements sont justifiés.
"Chaque homme est dans sa nuit", écrivait Hugo.
Lançon m'a fait partager la sienne en long, en large et en travers.
Il est temps maintenant de rallumer la lumière.