Citations sur Blast, Tome 2 : L'Apocalypse selon saint Jacky (79)
Si certains lieux vous acceptent, vous réclament même, vous donnent à admirer leurs secrets, d'autres, en revanche ne vous tolèrent qu'à peine...
- On va quand même pas l'écouter tourner autour du pot pendant les quarante-huit-heures de la garde à vue ! J'en peux plus, de ses salades mystiques !
- La petite Oudinot est morte... Et avec le dossier qu'on a monté, il ira aux assises... Aveux ou pas.
- Il fait le taré pour jouer l'irresponsabilité. Il est simplement en train de préparer sa défense...
- Et s'il était vraiment fou ?!
- Ce n'est pas la perception que j'avais du monde qui a changé, cet été-là. Comme je l'avais d'abord imaginé, mais bel et bien le monde lui-même ! L'univers m'avait enfin remarqué et, cerise sur le gâteau, il semblait que je l'intéressais ! Je commençai alors à voir des choses invisibles... Des cadeaux accessibles à moi seul ! Des choses incroyables et pour autant absolument réelles, tangibles. C'est ainsi que j'ai compris que je suivais le bon chemin. Les blasts n'étaient peut-être que le prélude à quelque chose de plus grand...
- Je me contrefous que vous me croyiez ou pas. Je ne suis pas ici pour vous convaincre mais pour dire exactement ce qui est arrivé.
- Ou raconter n'importe quoi pour minimiser tes responsabilités...
- J'étais l'unique spectateur de l'intimité de ces gens.... Confusément, j'étais content de retrouver la trace de mes congénères sans en subir la présence. Je pris possession de l'endroit comme un renard ou un fouine conquiert un nouveau territoire... Avec avidité, sans pudeur, sans morale et en silence.
Dans mon insondable méconnaissance de la nature, je ne pouvais imaginer l'agonie qu'inflige le froid. Ça tord en dedans, ça pique, ça déchire, ça brûle, ça lacère. Chaque bout de viande devient une plaie. Ça tient l'esprit en laisse, engourdi. Les sens déclinent sournoisement jusqu'à vous disperser, vous exclure du monde. Le froid, ça change l'homme dépouillé en fantôme. Avec une perception accrue et un étonnement bourgeois, je réalisai que, sûrement, le froid pouvait me tuer. Paradoxalement, j'en conçu une certain joie... Si je risquais de mourir et que cette éventualité m'effrayait un peu, ça voulait dire que j'existais encore.
- Souvent, avant de m’écrouler, je passais la main à mon entrejambe crasseux, entre la base de la cuisse et la naissance des bourses, là où la sueur ne sèche pas. Puis, comme un enfant avec son doudou, je m’endormais, reniflant le délicieux fumet âcre et organique, récompense rassurante de ma journée d’homme libre… Je connaissais déjà cette odeur...
- Les chiottes de la Garde l'Est ?
- C'était celle de mon père endormi sur lit pliant du balcon, les nuits où il revenait de loin... L'odeur brutale du travail, de la route, de la misère. L'odeur du salaire. N'importe qui la trouverait immonde... Mais pour nous, ses enfants, c'était le parfum de la tendresse... Rare, précieux... Après avoir vécu trois, cinq, dix jours chez la voisine, mon frère et moi savions que cette odeur promettait un peu de temps avec lui... Nous attendions dans un silence respectueux qu'il s'éveille, et la pièce était baignée de son odeur. La maison d'ordinaire déserte redevenait « chez nous ». Nous étions réunis. Enfin.
Débarrassé de la proximité superficielle de mes semblables, je devins ce qui m'entourait... Tour à tour insecte, galet, rongeur, eau, humus, fougère... Sans doute pas plus, certainement pas moins, j'aimais la modestie de ma nouvelle condition. Elle contrastait avec la démesure de mon corps. Bien sûr, ce ne furent pas des vacances, loin de là... Passé les limites de la communauté humaine, le sens jadis acquis à chaque chose disparaît. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la rivière sans bouger, pendant quelque heures...
- J'ai soif.
- Polza... Tu sais parfaitement qu'on ne peut pas de donner de l'alcool en garde à vue... Imagine un peu ce que tu pourrais nous raconter si tu étais rond...
Jacky avait des gouts étonnants. Il semblait lire avec un égal bonheur les infamies littéraires les plus évidentes comme les chef d'oeuvre inégalés, les livres d'art les plus précieux aussi bien que les bandes dessinées les plus honteuses.