Un peu innocemment, avec un titre comme
La chasse au renne de Sibérie, je m'attendais réellement à une scène de chasse dans le nord russe. Bon, je me doutais bien que toute l'histoire ne tournerait pas autour d'une partie de gibier mais, quand même. Et le roman ne se déroule même pas en Sibérie, non. Plutôt, son contraire. Quoique, dans le Caucase, les hivers ne sont pas si chauds.
Reprenons au début.
La chasse au renne de Sibérie, c'est l'histoire d'un groupe restreint d'individus qui règnent en maître sur la ville d'Akhtarsk via leur contrôle sur la compagnie AMK, aux ramifications obscures et tentaculaires, allant de l'énergie à la construction d'hélicoptères militaires en passant par des banques. Ils font tout ce qui est en leur pouvoir – y compris ce qui est illégal – pour garder ce contrôle. Corruption, fraude, magouille, même se débarrasser définitivement de personnes gênantes…. Tant pis pour ceux qui ont une conscience! Quand un des chapitres s'intitule « de l'utilité des accidents de voiture », et on se doute qu'il s'agit d'un accident arrangé, ça donne le ton.
C'est un peu comme lire le parrain, mais sans la famille derrière, l'attachement loyal, les souvenirs de la Sicile avec un décor bucolique, l'excellente cuisine… Bon, là, c'est peut-être moi qui image plus que ce que le roman proposait. Mais vous saisissez.
Bien que cette histoire mette en scène une galerie de personnages récurrents, tout gravite autour de deux hommes. D'abord, le patron Viatcheslav Izvolski. Il est intraitable et irascible, dangereux et déterminé. Ensuite et surtout Denis Tcheriaga. Au tout début, c'est la nouvelle recrue. Je voyais en lui le protagoniste, je voulais/voyais en lui un héros. Oui, il était impliqué dans des magouilles par-dessus la tête mais j'espérais tellement qu'il se repente et qu'il claque la porte. Mais ce n'est pas ainsi que se passent les choses, en Russie. Apparemment. Ceux qui ont une conscience, ils meurent rapidement. Plutôt, Tcheriaga fait preuve d'une grande ingéniosité et gravit les échelons de la compagnie. Ceci dit, la vie est difficile même pour les criminels en cravate. Parfois ils gagnent, quelques fois ils perdent. Mais ils gagnent, le plus souvent. Si ce n'est dans l'immédiat, c'est à long terme.
Ceci dit, à voir la narration se promener entre tous ces personnages, tant ceux de leur camp que d'autre qui ont le malheur de croiser leur route (par exemple, des inspecteurs intègres, parce que, oui, il y en a bien quelques uns), j'avais l'impression qu'il n'y avait pas vraiment de protagoniste. Je ne savais plus trop à quel personnage m'accrocher (à défaut de m'identifier). Il faut dire que, à la base, j'ai de la difficulté à m'intéresser à des personnages criminels.
La chasse au renne de Sibérie, c'est une histoire d'hommes. D'hommes qui ne pensent qu'au fric, qu'au pouvoir. Dans toute cette galerie de personnages, je ne me rappelle que ‘une femme (dont j'ai oublié le nom) et elle est au centre d'une vague intrigue amoureuse. Évidemment, elle n'est pas de la compagnie. C'est d'autant plus étrange que l'autrice de ce roman est une femme :
Julia Latynina. Mais bon, peut-être que, réellement, le monde financier et des grandes sociétés russes sont essentiellement (exclusivement?) composé d'hommes.
Pour revenir à Latynina, elle est passée maitre dans l'art de démontrer (dénoncer?) les failles du système économique russe. Elle est journaliste économique alors elle sait de quoi elle parle. Je me demande combien d'heures de recherche, de préparation un pareil bouquin a-t-il pu demander. C'est si précis, si technique. Je glissais rapidement sur des concepts mais je ne doutais pas des informations avancées. Je me demande surtout si l'autrice est encore en vie. Évidemment, les personnages sont fictifs mais, dans sa profession de journaliste, elle a dû bousculer certains individus…. Ce roman est une excellente porte d'entrée à son oeuvre. J'ai lu préalablement la Trilogie du Caucase, qu'elle a écrit par la suite et qui est dans le même genre.
Évidemment, ce n'est pas le genre de lecture qui convient à tous. C'est sombre, très sombre. Il faut accepter que les « méchants » gagnent souvent et c'est démoralisant. C'est après des lectures pareilles que je me considère chanceux de vivre dans un pays comme le Canada (même si je sais que la corruption existe ici aussi). Les informations sont crues et denses et, comme je l'écrivais plus haut, on voit très peu la vie de famille de ces bandits. Tout ne concerne que leurs combines et complots. C'est lourd. Dans tous les cas, ceux qui croyaient que la chute du communisme allait améliorer la situation en Russie peuvent continuer d'espérer…