Il y a quelques semaines, j'avais passé au travers du premier tome de cette Trilogie caucasienne. Malgré quelques difficultés, j'étais décidé à poursuivre l'aventure avec le deuxième tome, Gangrène. Si le début m'a quelque peu rebuté, j'ai persisté et je ne le regrette pas. Oui, en tant que lecteur, on continue à patauger dans la confusion mais l'histoire-même de cette région du monde n'est-elle pas confuse ? le récit ne doit-il pas refléter cette réalité ?
Dans tous les cas, je compte l'auteure
Julia Latynina y arrive très bien : lire Gangrène fut une expérience ardue, du moins au début. Comme dans le tome précédent, j'ai éprouvé de la difficulté à distinguer plusieurs personnages. D'abord, à cause de certaines ressemblances (Tchakarov vs Tchebakov ; Khassanov vs Komissarov…). Ensuite, parce que l'auteure peut désigner un personnage exclusivement par son patronyme pendant trente pages puis, soudainement, par son prénom. de plus, elle donne très peu de descriptions physiques donc il n'est pas facile de les visualiser. D'autant plus que certaines des rares informations données sont parfois glissées à mes moments incongrus faciles à négliger, comme dans une incise ou un dialogue (par exemple : « L'homme à la cicatrice sous l'oeil gauche répondit… »). Vraiment ! C'était le moment idéal pour nous apprendre une telle information sur un personnage qu'on suit depuis cinquante pages ? À cela s'ajoute de très nombreux retours en arrière et autres procédés qui transforment presque le récit en un chaos. Ouf !
Ceci dit, une fois passé ces difficultés qui s'amenuisent au fur et à mesure de la lecture et qu'on accepte l'idée qu'il faudra patauger dans la confusion au même titre que les personnages, on peut mieux apprécier cette oeuvre.
Avec Gangrène, on quitte Torbi-Kala, la capitale de la république fictive d'Avarie-Dargo-Nord (mais très largement inspirée du Daguestan), pour l'enclave montagneuse de Bechtoï, bastion des frères Kemirov. Zaour est un homme d'affaires prospère, le seul milliardaire au pays, également maire et candidat aux élections présidentielles. Son cadet Djamaluddin est le chef d'une milice active. Ils luttent pour protéger la région, chacun à leur manière. Autour d'eux gravitent l'élite politique de la république (le fils du président sortant, Gamzat Aslanov, le vice-premier ministre Ouglov, d'autres ministres importants, Sapartchi Telaïev), des militaires, dont le colonel Argounov mais aussi des chefs de groupes paramilitaires présents dans le premier tome : Arzo Khadjiev et Wahha Arsaïev. Moscou a également ses représentants : le commissaire Fedor Komissarov et son adjoint Kirill Vodrov. Tous aussi ambitieux et corrompus les uns que les autres, tous aussi coupables également.
Une grande partie de l'histoire tourne autour de l'explosion d'une maternité qui a fait plus de 170 morts, surtout des femmes et des nouveaux-nés. Crime grave chez les musulmans. On y revient à plusieurs reprises, que ce soit en souvenirs ou en retours en arrière, et ce sous les points de vue de différents personnages. C'est une des raisons qui font en sorte que la lecture devient toujours plus facile avec le temps. Qui a commis l'attentat et pourquoi ? À cet acte s'ajoutent les rapts (les rançons étant un marché lucratif), le vol de marchandises, le marché noir, la radicalisation de certains groupes, conflits entre différentes ethnies (Tchétchènes, Avars, Koumyks, Laks, etc). La sécurité et la lutte aux terroristes deviennent une priorité alors que la nomination du nouveau président va troubler les cartes. Tous ces enjeux s'entremêlent (terrorisme, économie et politique, avec une touche de djihadisme) parfaitement jusqu'à la grande finale épique et explosive. Cette longue finale palpitante, pleine de rebondissements, émotive, qui rachète toutes les difficultés encourues.
Avec Gangrène,
Julia Latynina dépeint un tableau très noir, pessimiste de la situation dans le Caucase. Mais ce tableau semble être plutôt réaliste. Visiblement, l'auteure s'est bien documentée (elle est journaliste économique et maitrise bien le sujet). Au final, je me suis attaché à quelques personnages (même si je sais qu'ils sont loin d'être blancs comme neige) et surtout je me suis habitué au style de l'auteur. Il a réussi à m'accrocher. Donc, assurément, je lirai le troisième tome de la trilogie.