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Critique de muet-comme-un-carpe-diem


Camille Laurens a-t-elle appris à lire dans l'almanach Vermot comme son personnage homonyme de L'Avenir ? Ses nombreux calembours cachent en fait des facéties verbales des plus subtiles. Ainsi dans Index " boire la coupe jusqu'à la lie " devient sous sa plume " boire la coupe jusqu'à l'hallali " traduisant bien la détresse du personnage.

Un glissement de sens étymologique (cf. psychopompe) provoque la chute d'un cocasse conservateur de musée amateur de belles chaussures qui évite de peu les pompes funèbres. Les gros bonnets du film de L'avenir se voient dotés de poitrine fellinienne.

Dans un autre registre, la narratrice de Dans ces bras-là compile les phrases fétiches de ses proches à la façon des jeux sur les centons de l'Oulipo. Chez elle, les mots semblent prendre la parole comme dans Ouvrez de Nathalie Sarraute. Elle fait dire à Camille Laurens dans L'Avenir qu'elle réfute la grammaire traditionnelle et ses catégories sommaires parce que " peu de phrases sont susceptibles d'être fermées, puisque tout un halo de mots muets les environne, dont le centre est partout et la circonférence est nulle part ". Pour elle, c'est " un leurre de croire que les mots sont libres comme l'esprit qui les forme ". Lacan aurait signé des deux mains !

Au-delà de ce goût goulu pour le grain des mots, au -delà de cet appât du grain si vous me permettez cette expression détournée, son écriture en palimpsestes plus ou moins discrets aurait ravi Gérard Genette, la récurrence de la structuration alphabétique de ses chapitres vous évoqueront les Fragments du discours amoureux de Roland Barthes. D'ailleurs l'amour est au centre de ses préoccupations comme vous l'expliquera mieux que moi la revue de presse disponible dans sa fiche auteur sur le site de P.O.L., son principal éditeur :

Le grain des mots. Une soixantaine d'articles ciselés initialement publiés dans L'humanité pour nous inviter à parcourir le dictionnaire comme " d'autres parcourent le monde ". Dans sa préface Camille Laurens explique, défait les plis de la démarche militante qui l'a poussée à aller à la rencontre des mots comme à la rencontre des autres.

Primo, aller au-delà du premier abord du signifiant, de la silhouette des lettres néanmoins déjà très riche d'enseignements pour cette lectrice attentive du parti pris des choses de Francis Ponge.

Secondo, chercher à comprendre l'inquiétante étrangeté freudienne du signifié, écrire, crier avec humour, l'histoire partielle, partiale, particulière de chaque substantif pour en tirer la substantifique moelle à l'aide de l'étymologie et de la littérature.

Tertio, accepter que ce qui est dit sur le mot est tributaire du parcours individuel, de l'actualité (les dernières élections présidentielles par exemple).

Inéluctablement, vous serez tenté après cette lecture de vous prêter à votre tour à cet exercice de style, de vous munir de votre stylo ou de votre clavier pour passer à l'écriture. Moi, par exemple j'ai voulu savoir pourquoi elle avait intitulé son livre le grain des mots.

Camille Laurens avait certes pointé la voix, la folie et la beauté grenue du grain, mais il vous reste du grain à moudre si vous voulez égrener toutes les facettes de ce terme polysémique. Sans verser dans la parabole, triez le bon grain de l'ivraie sous peine d'ébriété étymologique et à l'instar de Leibniz ne mêlez pas la paille des mots avec le grain des choses sinon comme Lestienne, vous n'y verrez grain.

Pour aller au bout de cette aventure lexicale, il vous faudra préparer vos voiles afin de saluer le grain, à juste titre craint par le marin. En effet, mieux vaut voir venir le grain, mettre un frein aux dangers, veiller au grain, car cette averse brève et soudaine sans crier garde est en train de virer à la tempête.

N'écoutez pas ceux qui prétendent qu'il ne pèse pas lourd ce grain car même si la balance ne lui accorde que 0,053 grammes, il n'est pas sans rapport de proportionnalité avec vos scrupules (minéraux comme vos calculs).

Bien entendu, il n'a, ni le poids du granit, ni la violence de la grenaille et des grenades, ni la valeur marchande du grenat mais un grain de sable pourrait bien bloquer la mécanique, les engrenages voire pire pour vous messieurs si l'on pense à ce que raconte Pascal à propos de l'urètre de Cromwell. Ne le remisez pas au grenier poussiéreux car il draine les richesses, met son grain de sel salarial puisqu'il est tour à tour morceau d'or très pur, piécette romaine, grènetis des médailles et des monnaies. Maintenant, allez savoir pourquoi André Gide a baptisé ses mémoires Si le grain ne meurt !!!
Lien : http://muet-comme-un-carpe-d..
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