J'avais envie d'une histoire courte et effrayante. 155 pages plus tard, me voici arrivée au terme de cette lecture qui m'a plongée dans une grande perplexité...
Mon avis :
Un récit fantastique à deux voix
L'histoire principale se découpe en deux récits parallèles, alternant deux points de vue différents, mais toujours reliés à la légende de
Vert de Lierre.
Il y a tout d'abord le récit d'Olivier, enquêtant sur la légende du lierreux pour son prochain livre, qui fait la rencontre de Rose, la nièce d'une vieille anglaise recluse.
Celle-ci lui confie son roman pour avoir son avis d'écrivain dessus. Il s'agit de la seconde histoire, un récit enchâssé, où Mary, une jeune paysanne raconte sa rencontre avec le
Vert de lierre et les bouleversements qu'il va occasionner chez elle.
Le ton est différent sur les deux récits : l'écrivain utilise un vocabulaire riche et propose une vision exaltée de la réalité, ponctuée par des prémonitions ou des rêves étranges. A l'inverse, Mary est plutôt pragmatique et tournée vers ses sensations avec un vocabulaire un peu moins développé.
A la première lecture, j'ai noté que le roman respectait en tous points les codes du roman fantastique en introduisant un élément surnaturel dans le cadre réaliste du récit : la légende du
Vert de Lierre et toutes les manifestations de sa présence relevées par l'écrivain.
Il m'a évoqué un autre roman fantastique :
La Vénus d'Ille de
Prosper Mérimée, pour la durée temporelle du récit qui est relativement courte, le côté superstitieux liée à cette légende paysanne et la forte présence du thème de l'amour.
Par ailleurs, il mélange deux mystères : celui de la légende de
Vert de Lierre et celui autour de la tante de Rose dont personne n'a jamais vu le visage. On pourrait en ajouter un troisième qui est la vraie nature de Mary dans le récit de Rose. Celle-ci est en proie à des questionnements sur les meurtres inexpliqués de ses amants. Tout ceci contribue à donner un côté roman policier à cette histoire, en plus du fantastique.
Mais aussi, et de façon plus surprenante, ce court roman se rapproche du courant littéraire romantique. Il m'a rappelé Aurélia de Gérard de
Nerval, à travers le personnage d'Olivier. En effet, à l'image du narrateur dans Aurélia, l'écrivain déifie Rose dont il est tombé amoureux et raconte ses rêves voire ses prémonitions. Et, clin d'oeil ou pas de Louise le Bars, quand Mary parle de son éducation, elle évoque
Gérard de Nerval ainsi que d'autres écrivains romantiques.
On sent que l'auteure plonge dans des références littéraires différentes pour nous offrir un récit fantastique plutôt riche. Et c'est pas mal joué.
Une dénonciation de la condition féminine fin XIXème siècle.
Dans le récit enchâssé qu'est le roman de Rose,
Louise le Bars nous livre le portrait d'une paysanne victime d'un mariage forcé qui se donne à
Vert de Lierre pour échapper à sa condition. Mais cela ne sera pas sans conséquences.
Son histoire semble le reflet du combat de femmes de la fin du XIXème siècle, qui n'avaient que peu de chances de vivre de manière libre et autonome. Les seules options étaient le mariage (choisi ou non, avec un statut de procréatrice ou de femme-potiche selon le milieu), de prendre le voile, de devenir sorcière mais en marge de la société, de se prostituer, ou d'être déclarée indigente et folle (donc le parfait cobaye pour des expériences scientifiques en asile psychiatrique.)
L'auteure évoque à un moment donné la mutilation dont Mary est victime, en hôpital psychiatrique justement, en lien avec l'hystérie. Cet épisode est caractéristique de la peur et de l'incompréhension du plaisir féminin chez l'homme, dont la vision de la femme est liée à la procréation ou à son propre plaisir.
Mary devient une figure de peur, puis d'éloge romantique, pour devenir celle de la libération féminine, proche de la sorcière. En ce sens,
Louise le Bars nous présente une femme plutôt contemporaine dans son livre, proche de celle évoquée par
Mona Chollet dans
Sorcières, la puissance invaincue des femmes.
Quelques bémols
Des deux personnages principaux, j'ai trouvé que le personnage de l'écrivain était le moins bien réussi. Tout au long de l'histoire, il m'a semblé qu'il était moqué par l'auteure à cause de son côté romantisme, le rendant naïf et risible. En revanche, j'aurais aimé plus de détails sur le personnage de
Vert de Lierre dont est tiré la légende originale qui reste bien mystérieux malgré les rebondissements finaux.
Par ailleurs, pendant ma lecture, j'ai été gênée parce que le roman est écrit à la première personne du singulier pour les deux histoires. Cela a pour conséquences un mélange des deux récits parallèles. J'ai dû prêter attention à chaque chapitre pour ne pas m'y perdre. Heureusement, des indices comme le niveau de langage m'ont bien aidés.
Pour finir, je regrette de ne pas avoir frissonné face au faible degré de suspense associé au roman fantastique et d'avoir compris rapidement une partie du dénouement de l'intrigue à la moitié du récit. Peut-être qu'instiller plus de terreur à l'histoire aurait relevé son intrigue. Ou tout simplement que je lis trop de récits fantastiques et policiers. Un lecteur avec un autre bagage littéraire aura sans doute une impression différente.
En conclusion :
Vert de Lierre est un roman fantastique qui se joue des codes en incluant des clins d'oeil à d'autres genres littéraires et faisant la part belle au féminisme.