Citations sur La ballade de Lila K (249)
Dans la vie, il y a toujours un avant, un après, vous avez remarqué ? Avec entre les deux une cassure franche et nette, heureuse ou malheureuse -c'est une question de chance. Elle ne peut pas sourire à tout le monde, évidemment. je suis sûre que personne n'y échappe.
Pour moi, la rupture s'est produite le jour où des hommes casqués, tout en noir, ont défoncé la porte pour se ruer dans la chambre.
Ce que je recherchais surtout dans les livres, c'est le pouvoir qu'ils m'accordaient. J'arrivais grâce à eux à m'abstraire de ma vie. J'oubliais le Centre , sa routine et son lot de contraintes épuisantes. J'oubliais qu'on m'avait confisqué ma maman. J'étais ailleurs, loin du monde, loin de moi. C'est parfois reposant de se perdre de vue.
Avec le temps, je m'étais habituée aux hurlements des gosses - c'est fou la force que peut donner l'habitude.
Mon arbre généalogique ne ressemble pas à grand-chose, il faut bien le reconnaître. Deux rameaux coupés courts. Le destin a eu la main lourde, côté sécateur.
On a raison de dire que la nuit porte conseil. Tout tient, je crois, à la puissance des rêves et des ténèbres : enveloppé d'ombre, le cerveau est plus vif, ou peut-être mieux apte à saisir les murmures des esprits venus pour l'inspirer.
On a raison de dire que la nuit porte conseil. Tout tient, je crois, à la puissance des rêves et des ténèbres : enveloppé d'ombre, le cerveau est plus vif, ou peut-être mieux apte à saisir les murmures des esprits venus pour l'inspirer.
Je n'ai pas dormi, cette nuit-là. J'ai pensé à ma vie, aux efforts accomplis pour en arriver là. J'ai pensé à tous ceux qui m'avaient aidée, parfois sans le savoir. M. Kauffmann, Lucienne, Fernand, et Justinien. J'ai pensé à vous. Je me sentais fière et forte, enfin prête ; je pouvais désormais marcher seule au milieu de la foule, prendre le tube, supporter le fracas des rames et la promiscuité, les odeurs, les éclairs de lumière qui jaillissaient parfois dans les tunnels. J'avais vingt ans, j'étais libre et je touchais au but.
C'est cela sans doute, faire son deuil: accepter que le monde continue, inchangé, alors même qu'un être essentiel à sa marche en a été chassé. Accepter que les lignes restent droites et les couleurs intenses. Accepter l'évidence de sa propre survie.
Jusque-là, je ne m'étais jamais vraiment posé de questions sur mon travail. J'appliquais les consignes, voilà tout : suppression pour incitation à la violence, à la perversion sexuelle, à la consommation de substances illicites, à des comportements alimentaires nuisibles à la santé. Suppression pour atteinte à la dignité du corps humain, ou au droit à l'image. Suppression pour propos discriminatoires. Et cetera. A première vue, rien de tout cela ne me semblait choquant. Et puis, de toute façon, lorsqu'on a un rythme à tenir, on n'a pas forcément les moyens de réfléchir. Mais maintenant que je prenais le temps de comparer chaque article avec ce qu'il en restait après sa numérisation, je me rendais bien compte qu'il y avait un problème. Trop de coupes, parfois si pernicieuses qu'elles en arrivaient à inverser le sens du propos, ou le rendre totalement incompréhensible.
Je me moquais un peu du contenu des livres. Ce que je cherchais, surtout, c'est le pouvoir qu'ils m'accordaient. J'arrivais grâce à eux à m'abstraire de ma vie. J'oubliais le Centre, sa routine et son lot de contraintes épuisantes. J'oubliais qu'on m'avait confisqué ma maman. J'étais ailleurs, loin du monde, loin de moi. C'est parfois reposant de se perdre de vue.