Citations sur La ballade de Lila K (249)
Après, je ne sais pas trop. Je me souviens seulement d'avoir écarquillé les yeux sur ces allées immenses, sur ces ifs taillés, ces centaines de tombes alignées, et tout semblait absurde. C'était comme si le monde s'était brusquement arrêté, vidé de sa substance au seuil du cimetière. Il n'y avait plus ni matière, ni couleur, ni sens. Que des ombres mêlées à du silence, les lignes des allées tordues entre les ifs, et le ciel qui bavait sur les tombes. Ma douleur avait tout envahi.
L’espace d’un instant, j’ai eu cette sensation : leur donner ce qu’ils voulaient. Me lever, envoyer valser le grammabook, l’exploser sur les dalles de marbre, et balancer ma chaise contre les glaces. Leur cracher ma souffrance à la gueule, l’expulser comme une glaire malsaine. Me soulager. Bandes de charognards. J’ai failli.
Ça commençait à être vraiment lourd, toutes ces larmes qui se déversaient en moi, sans faire le moindre bruit.
C'est étrange , je ne me suis jamais imaginé de famille en dehors de ma mère ...L'intuition était bonne : Lila K , née de père inconnu et d'une mère enfant trouvé .Mon arbre généalogique ne ressemble pas à grand chose , il faut bien le reconnaitre .Deux rameaux coupés courts .Le destin a eu la main lourde , côté sécateur .
La troisième année du protocole a été l'occasion d'un grand bouleversement. Un matin, M. Kauffmann a débarqué dans ma chambre en poussant devant lui un énorme caisson à roulettes.
- Qu'est-ce que c'est, monsieur Kauffmann ?
Il s'est assis sur le lit, l'air mystérieux, et d'un geste solennel a soulevé le couvercle du caisson.
- Viens donc voir, fillette !
Je me suis approchée.
- On appelle ça des livres. Tu vas voir, tu n'en reviendras pas.
J'ai levé un sourcil sceptique. Il avait beau dire, ça ne payait pas de mine. Mais lui semblait très excité. Il s'est emparé d'un volume, puis il l'a soulevé à hauteur de mes yeux.
- Regarde bien, Lila.
J'ai soudain vu le livre s'ouvrir entre ses mains, éclater en feuillets, minces, souples et mobiles. C'était comme une fleur brutalement éclose, un oiseau qui déploie ses ailes.
-Fernand Jublin m'a expliqué que vous aviez disposé de livres anciens, plusieurs années durant.
- C'est exact, monsieur,
- Ces consignes doivent donc déjà vous être familières.
- C'est-à-dire que... non. Je ne prenais pas de précautions particulières, à vrai dire. Je manipulais les livres à mains nues.
Il m'a regardée, effaré.
« J’ai vu soudain un livre s’ouvrir entre ses mains, éclater en feuillets minces, souples et mobiles. C’est come une fleur brutalement éclose, un oiseau qui déploie ses ailes.
- Comment dites-vous que ça s’appelle ? un livre
- Ca ne peut pas s’effacer ?
- Non, c’est inamovible. Indélébile. Là réside tout l’intérêt avec le livre, tu possèdes le texte. Tu le possèdes vraiment. Il reste avec toi sans que personne ne puisse le modifier à ton insu. Par les temps qui courent, ce n’est pas un mince avantage, crois-moi, a-t-il ajouté à voix basse. Ex libris veritas, fillette. La vérité sort des livres. Souviens-toi de ça : ex libris veritas.
Je les ai dévorés avec le même plaisir, la même frénésie. ils n'avaient pas tous à mes yeux un égal intérêt, mais au fond, c’était sans importance. je me moquais un peu du contenu des livres. ce que je recherchais, surtout, c'est le pouvoir qu'ils m'accordaient. J'arrivais grâce à eux à m'abstraire de ma vie.
Tant que quelqu'un vous parle, quelque part, vous écrit, vous ne pouvez pas mourir. Vous êtes encore au monde ; vous lui appartenez.
La censure qui se drape dans le principe de précaution !