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Citations sur La Petite fille au tambour (23)

Il existe à Jérusalem une potence encore en état mais où personne désormais ne se fait plus pendre. Kurtz la connaissait bien : tout près du vieux quartier russe, sur la gauche quand vous arrivez, par une route à moitié goudronnée, et que vous vous arrêtez devant un portail très ancien conduisant à ce qui fut autrefois la prison centrale de Jérusalem. Les pancartes indiquent "accès au musée" mais aussi "le palais de l'héroïsme", et un vieil homme un peu fêlé traîne devant le bâtiment et vous invite à entrer d'une révérence en balayant le sol poussiéreux de son chapeau plat et noir. C'est ici que les Anglais pendaient les Juifs durant le Mandat, à un noeud coulant bordé de cuir. Très peu de Juifs en fait, alors que des dizaines d'Arabes y étaient morts; mais deux amis de Kurtz avaient été exécutés là, à l'époque où il faisait partie de la Haganah avec Misha Gavron. Kurtz aurait tout aussi bien pu subir le même sort. Les Anglais l'avaient emprisonné deux fois, interrogé quatre fois, et s'il lui arrivait encore de souffrir de maux de dents, il les devait, d'après son dentiste, aux coups qu'il avait reçus de la main d'un jeune officier, aujourd'hui mort, dont les manières, sinon l'apparence, lui rappelaient un peu Picton.
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Malgré les pressions toujours plus fortes auxquelles Charlie avait été soumise, la jeune femme était restée libre de choisir, c'était du moins l'avis de Kurtz. Il avait insisté sur ce point depuis le début. Leur plan devait absolument s'appuyer, assurait-il, sur une base saine de moralité. Lors de la première phase de l'élaboration du plan, il avait bien été question de manipulation, de domination et même d'un asservissement sexuel à un Apollon beaucoup moins scrupuleux que Gadi Becker. On avait parlé de soumettre la jeune femme à des conditions extrêmement perturbantes pendant plusieurs nuits avant de lui tendre une main secourable. Mais ce fut en définitive le jugement pratique de Kurtz et son expérience des opérations qui l'emportèrent sur le bataillon d'experts toujours plus fourni qui sévissait à Jérusalem. Les volontaires se battent mieux et plus longtemps, avait affirmé Kurtz. Ils trouvent en eux-mêmes des raisons de se convaincre. En outre, quand vous demandez une dame en mariage, mieux vaut ne pas l'avoir violée avant.
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"Un rôle dans quoi au juste ? s'enquit-elle refoulant toujours son sourire.
_ Appelez ça du théâtre.
- Alors c'est une pièce, mais pourquoi ne pas le dire clairement ?
_ En un certain sens, c'est une pièce.
_ Elle est de qui ?
_ Nous nous chargeons de l'intrigue et Joseph écrit les dialogues grâce à votre collaboration.
_ Qui sera le public ? Elle esquissa un geste en direction des ombres. Ces charmants jeunes gens ?
Le sérieux de Kurtz surprenait et impressionnait tout autant que sa bienveillance.
_ Charlie, il existe dans le monde des gens qui ne verront jamais la pièce, qui ne sauront même pas qu'elle se joue et qui pourtant vous devront tout pour le restant de leur vie. Des innocents. Ceux dont vous vous êtes toujours préoccupée, pour lesquels vous avez essayé de parler, de manifester, que vous avez tenté d'aider. Dans tout ce qui suivra cet entretien, il vous faudra garder cette notion à l'esprit ou bien vous nous perdrez et vous vous perdrez vous-même, cela ne fait aucun doute."
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Le reste de l'appartement était aéré mais, à l'image du Village olympique, affreusement décrépit. Au nord, les fenêtres offraient une vue sinistre sur la route conduisant à Dachau, où tant de Juifs avaient trouvé la mort au camp de concentration; l'ironie de la situation n'échappait pas aux trois hommes, et ce d'autant moins que la police bavaroise, avec une inconscience accablante, avait basé ses escadrons volants dans les anciens bâtiments situés là-bas.
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"Vous vous sentez nerveuse ?
_ Oui.
_ C'est normal. Moi aussi, je suis nerveux. Vous avez le trac au théâtre ?
_ Oui.
_ C'est pareil. La terreur, c'est du théâtre. Nous inspirons des sentiments, nous faisons peur, nous suscitons l'indignation, la colère, l'amour. Nous éclairons les gens. Le théâtre aussi. Le guérillero est le plus grand acteur du monde."
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C'était le terminus. Et le pire endroit où elle eût jamais vécu au cours de toutes ses vies réunies. C'était le sale pensionnat de son adolescence avec des violeurs en plus , un camp d'entrainement planté au milieu du désert et où l'on ne tirait pas à blanc. Le rêve meurtri d'une Palestine toute proche se trouvait maintenant à cinq heures d'un voyage éreintant au-delà des montagnes.(..) Ils disposaient pour vivre de trois longues cabanes, l'une pourvue de cloisons, pour les femmes; une autre sans cloisons pour les hommes; et une troisième baptisée bibliothèque et réservée au personnel d'encadrement. Si jamais on t'invite à la bibliothèque, lui dit une grande suédoise qui s'appelait Fatima, ne t'attends pas à faire beaucoup de lecture.
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Le théâtre avait été improvisé à l'intérieur d'une salle de sport et, du haut de la scène trop bruyante, les acteurs respiraient les vapeurs de chlore émanant de la piscine et percevaient le martèlement paresseux des balles de squash à travers le mur. Le public se composait de brigades fichu-et-pot-au-feu dont les yeux rassasiés et envieux vous disaient bien qu'elles feraient mille fois mieux que vous si jamais elles s'abaissaient à essayer.
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Charlie partit se fondre dans la foule londonienne et ressentit l'impression de marcher devant elle-même; de suivre sa silhouette intangible qui s'échappait de son propre corps pour fendre la cohue... Elle perçut le frôlement d'une main contre son coude : Joseph fit quelques pas à son côté avant de disparaître dans les entrailles d'un Marks & Sparks. L'effet de ces apparitions sur la jeune femme n'avait pas tardé à se manifester. Elles la maintenaient dans un état constant de vigilance, et, si elle se montrait honnête avec elle-même, de désir. Un jour sans lui n'était plus un jour; un simple regard de lui et son coeur, son corps tout entier, se troublait comme celui d'une gamine.
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"Vous savez, Paul, dit Kurtz lorsqu'ils eurent discuté ainsi un moment, moi aussi j'ai rempli les fonctions de coordinateur, une fois. Mon supérieur avait jugé que je ne m'étais pas bien conduit." Kurtz eut un petit sourire de tristesse complice. "Alors il m'a nommé coordinateur. Je me suis tellement emmerdé qu'au bout d'un mois, j'ai écrit au général Gavron pour lui dire qu'il était une nullité. "Il m'a convoqué dans son bureau. Vous avez déjà rencontré Gavron ? Non ? Il est tout petit, tout ratatiné, avec une grosse tignasse de cheveux noirs. Toujours excité. Toujours en mouvement. Il m'a hurlé :"Schulmann, qu'est-ce que ça veut dire ? A peine un mois et vous me traitez de nullité ? Comment m'avez-vous percé à jour ?"
"Général", je lui ai répondu, "s'il vous restait une once d'amour-propre, vous me renverriez dans les rangs de mon ancienne unité, là où je ne peux pas vous insulter en face." Et vous savez ce qu'a fait Misha ? Il m'a mis à la porte, et puis il m'a monté en grade. Voilà comment j'ai récupéré mon unité."
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"_Tu ne te dis à aucun moment que je dois être l'homme aux orchidées, celui qui signe mystérieusement "M" et qui prétend t'aimer infiniment ?
_ Bien sûr que si. Je l'ai su tout de suite.
_ Comment ?
_ Je n'en ai pas eu besoin. Je savais, c'est tout. Quand je t'ai vu là, qui ne me quittais pas des yeux, j'ai pensé, tiens, salut, c'est toi. Toi, qui que tu sois. Et puis le rideau de fin de matinée est tombé, mais tu es resté sur ton siège, montrant ton billet pour la séance suivante...
_ Comment sais-tu ça ? Qui te l'a dit ?
_ Tu l'as dit toi-même. C'est une petite compagnie dans un théâtre minable. Ce n'est pas si souvent qu'on reçoit des orchidées ni qu'on voit des mecs friqués rester deux séances de suite. Ca t'a beaucoup ennuyé, Jose ? La pièce... vraiment ? Deux fois de suite, comme ça ? Ou est-ce que tu as trouvé des trucs pas mal ?
_ Ca a été le jour le plus ennuyeux de ma vie" répliqua-t-il sans la moindre hésitation. Son expression figée s'évanouit soudain pour laisser place à son merveilleux sourire, donnant réellement l'impression qu'il venait d'échapper aux barreaux qui le retenaient prisonnier. "En fait, je t'ai trouvée tout à fait parfaite", ajouta-t-il.
_ Tu veux bien foncer dans quelque chose, maintenant, Jose ? L'endroit me convient parfaitement. Je mourrai ici."
Et avant qu'il ait pu l'en empêcher, elle lui avait saisi la main et déposait un baiser passionné sur la jointure de son pouce.
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