Rosée
Elle avait repoussé plus d’un amour banal,
Et son âme chantait une idéale stance.
Nous étions – mais j’oublie en quelle circonstance –
Au jardin que berçait un souffle matinal.
Un papillon, caché dans un lis virginal,
S’enivrait de rosée. Il paya d’inconstance.
Nous le vîmes s’enfuir une longue distance,
Et la fleur, sembla-t-il, pleura l’adieu final.
Elle la prit alors de ses beaux doigts de fée,
La mit à son corsage ainsi qu’un fier trophée,
Et le parfum semblait s’exhaler de son cœur.
Elle tourna vers moi sa figure rosée,
Et dans son œil humide, ouvert comme la fleur,
Comme le papillon je bus de la rosée.
Mes sonnets
Que le ciel bienveillant te garde des périls,
Moisson que mes sueurs ont souvent arrosée !
Qu’il répande sur toi sa lumière rosée,
Et que ta gerbe mûre embaume les fenils !
Vous tremblez, mes pauvrets, comme une larme aux cils,
Comme aux lèvres, l’aveu, comme aussi la rosée
Qu’un baiser de l’aurore a, sans bruit, déposée
Sur le feuillage vert, tout plein de gais babils.
Au sort qui vous attend il faudra vous soumettre.
Vous auriez plus d’éclat, si j’avais osé mettre
Un vêtement pompeux à la simple raison.
Mais la raison est belle en sa nudité chaste.
Gouttelettes, tombez. Tombez ; dans le champ vaste
Il germera peut-être une humble floraison.
À la lune
Quand tu luis au-dessus de la forêt mouvante,
On dirait que des feux s’allument tout au fond.
Tu donnes un baiser à l’océan profond,
Et l’océan frémit comme une âme vivante.
Es-tu notre compagne ? Es-tu notre servante ?
Ton éclat nous ravit, ton pouvoir nous confond.
Sous ton voile brillant comme l’or qui se fond,
N’es-tu qu’un astre mort où règne l’épouvante ?
Donne au toit sans lumière un rayon de pitié,
Au rêve du poète, une aile audacieuse,
Et sur les nids d’amour plane silencieuse.
Tu n’offres à nos yeux souvent qu’une moitié...
De même faisons-nous, blonde lune que j’aime ;
Cachons-nous des défauts par ce vieux stratagème.
Le vieillard
Il chemine, rêveur, courbé sur un bâton,
Lui qu’on a vu jadis marcher d’un pas allègre ;
Il ne laisse tomber aucune parole aigre,
Et pourtant la vieillesse est pesante, dit-on.
Souvent pour nous parler il prend un humble ton.
Il montre avec orgueil, parfois, de son doigt maigre,
Dans l’ombre du passé, toute une vie intègre,
Et son nom a franchi la borne du canton.
Or, rien, lui semble-t-il, n’est changé que lui-même.
On rit comme autrefois, comme autrefois on aime ;
La jeunesse fleurit partout. Lui seul est vieux.
L’ombre autour de lui monte. Il hésite, il tâtonne.
Une larme descend de son grand œil atone,
Quand il songe qu’un jour il fit des envieux.
Vieux arbres et vieux hommes
Quand les arbres sont vieux, leurs rameaux dépouillés
Ne sentent plus courir les frissons de la sève,
En un gémissement leur murmure s’achève,
Les oiseaux les ont fuis, les vers les ont souillés.
Quand les hommes sont vieux, ils vont, les yeux mouillés,
Évoquer, loin du bruit, leur vie encor trop brève.
Souvent avec courage ils ont lutté sans trêve,
Et le suprême appel les trouve agenouillés.
Autour de l’arbre vieux qui lentement s’affaisse,
Avec ses nids déserts et ses pâles festons,
On voit croître et verdir de vaillants rejetons.
Autour de l’homme vieux et pour qui le jour baisse,
Montent le gazouillis et le rire argentin
Des enfants que réveille un rayon du matin.