Que se passe-t-il quand un professionnel du crime commence à vieillir, et qu'il ou elle s'embrouille dans ses cibles et ses contrats? Quand la machine à tuer s'enraye: les réflexes toujours là mais la tête plus beaucoup, et par moments plus du tout?
Des empilements de cadavres, nous répond
Pierre Lemaître, avec une impavidité joyeuse.
Mais, par l'une de ces cruelles ironies dont le destin est si friand, c'est grâce à un autre vieillard, les deux pieds déjà bien ancrés dans la sénilité, celui-là, grâce à un un autre vieillard donc que sera puni, in extremis, le "serpent majuscule" qui est à l'origine de ce féroce jeu de massacre.
Je trouve d'ailleurs étrange, ou touchant, ou les deux, que le thème central de "Serpent majuscule" soit la vieillesse, la décrépitude, la démence sénile, alors que son auteur était encore si jeune. le roman, non publié à l'époque de sa rédaction , a en effet été écrit en 1985 , à une époque où existaient encore les cabines téléphoniques, les cartes routières, les comptes bancaires en Suisse, etc.
Pierre Lemaître avait en tout cas déjà trouvé sa manière : une écriture allègre, mais qui ne recule jamais devant la noirceur , l'injustice de la vie, la mort violente. Et qui ne s'interdit pas des bouffées de tendresse, par exemple pour décrire , de manière irrésistiblement drôle, les attitudes canines de Ludo, " un grand Dalmatien d'un an, au regard bête mais à l'esprit tendre". Ou la silhouette gauche et embarrassée d'un inspecteur de police particulièrement dégingandé. Ou bien encore les superstitions à la fois puériles, et charmantes, d'une jeune infirmière d'origine cambodgienne....
Lemaître nous l'explique dans sa préface: publier maintenant ce premier roman resté dans ses tiroirs depuis 1985, c'est pour lui une façon de boucler la boucle du polar. Puisqu'il est désormais passé à un autre genre narratif, et n'écrit plus de romans policiers, il a trouvé logique , nous dit-il, que son dernier "roman noir" publié soit précisément le premier qu'il a écrit .
En tout cas, pour un coup d'essai..... un coup de maître.
Quant à la scène d'ouverture du roman... Franchement, un chef-d'oeuvre!
Et, chemin faisant , coup de chapeau aussi à l'illustrateur, ou graphiste, qui a placé en couverture cette irrésistible photo de Dalmatien : un "Ludo" noir et blanc sur fond jaune pétard qui nous regarde en coin, l'oeil sévère , la commissure des lèvres délicatement ourlée d'un soupçon de babine rose.