J'avais dans un premier temps décidé de ne pas ajouter ce livre à une Pal déjà dégoulinante, et qui contient entre autres quelques titres de
Pierre Lemaître. Mais voilà, à force d'en lire des critiques alléchantes, et aussi par curiosité quand j'ai appris qu'il s'agissait de son premier "noir", j'ai fini par fléchir, et quand, comme par un fait exprès, mes bibliothécaires ont choisi de le mettre en évidence sur un présentoir, j'étais cuite !
Je n'avais pas vraiment de grosses attentes, sachant que l'auteur l'a écrit en 1985, donc à ses tout débuts, et qu'il ne l'a finalement fait éditer que pour clore sa série de
romans noirs et passer à autre chose. (Mais j'ai noté qu'il y a quand même apporté quelques "améliorations", par rapport au texte d'origine). Et je suis finalement satisfaite de ma lecture, hormis quelques petites frustrations concernant certaines explications ou développements, j'y reviendrai.
Mathilde est une dame "d'âge mûr", comme on dit pour ne pas employer le terme "petite vieille", un peu rondelette, veuve aisée, et maman d'une fille qu'elle va voir le moins souvent possible. C'est justement au retour d'une de ces visites qu'on fait sa connaissance. Elle est "à la bourre" pour effectuer un travail qu'on lui a commandé, et ne cesse de pester contre les aléas du trafic. Mais elle parviendra quand même à remplir son contrat, quoique de manière pas tout-à-fait orthodoxe, ce qui va inquiéter sa hiérarchie. parce que jusqu'à présent, elle a toujours bossé de façon impeccable, et Henri, son supérieur direct, n'a eu qu'à se féliciter de l'avoir recrutée après l'avoir connue à l'époque de la Résistance. Mais les couacs et les initiatives personnelles parfois malheureuses de Mathilde vont se multiplier, il faut de résoudre à la recadrer...
Parallèlement, l'inspecteur René Vassiliev, grand escogriffe dégingandé un peu morose à l'idée de la routine qui l'attend après son service, est ravi quand, une minute avant de finir sa journée, un appel au sujet d'un meurtre va lui permettre de s'attibuer une enquête qui s'annonce passionnante !
Le récit se déroule dans les années 80, une ambiance bien différente de celle des polars actuels, la plupart des technologies couramment employées de nos jours n'existent pas, on se déplace en R25 ou en Ami 6 à l'aide de cartes routières, et la police scientifique n'a pas encore les moyens dont elle dispose actuellement. D'ailleurs, à ce sujet, j'ai trouvé l'enquête assez peu développée, à part des interrogatoires de témoins on n'a que peu d'éléments concernant notamment les mobiles. Parfois une seule piste vite improbable est suivie... Mais bon, il s'agit d'un roman de jeunesse, il est normal que quelques imperfections y demeurent, et si je n'étais pas une lectrice assidue du genre, peut-être n'y aurais-je même pas prêté attention.
D'autre part, j'ai apprécié les rapports très ambigus entre Henri et Mathilde, ces deux-là s'aiment depuis des décennies, mais n'ont jamais réussi à se l'avouer. Et finalement leur histoire va prendre une tournure assez inattendue.
Je n'ai pas réussi à m'attacher au personnage de l'inspecteur, c'est dommage parce qu'il était prometteur, mais...
Un autre protagoniste m'a par contre touché, c'est Monsieur de la Hosseray, ancien préfet à la santé mentale déclinante (on devine qu'il est atteint d'Alzheimer), qui lutte pour garder la mémoire et rester digne. Je me suis un peu demandé ce qu'il venait faire là-dedans, hormis le fait qu'il soit une connaissance de Vassiliev, mais son rôle va prendre de l'importance.
Le ton est souvent humoristique et second degré, et pourtant bien des aspects de l'histoire se révèlent plutôt tragiques, on traite de sénilité, de solitude et de liens familiaux distendus et même de maltraitance animale, mais ce n'est que par petites touches disséminées ça et là. Sous des dehors ironiques et bon enfant, des thématiques sérieuses existent, et auraient peut-être mérité plus de développement parfois.
Pour conclure, il est évident que
Pierre Lemaître s'est grandement amélioré par la suite dans le domaine du polar noir, mais ce "Serpent majuscule" reste une lecture divertissante et tout-à-fait recommandable.