Mais pourquoi est-il aussi méchant ?
- Parce que !!!!
Impossible pour moi de ne pas imaginer
Pierre Lemaitre revêtu des atours d'une bouteille d'orangina à l'orange sanguine en lisant ce roman écrit en 1985, bien avant la publicité de 1996.
Bien avant le film "Léon" de
Luc Besson également, 1994, dans lequel le tueur à gages incarné par
Jean Reno apprenait le métier à la jeune Mathilda, douze ans ( Natalie Portman ).
Pas de jeune Mathilda ici mais une vieille Mathilde, tout aussi tueuse à gages et anti-héroïne par excellence, parfois attachante, souvent exécrable.
"Soixante-trois ans, veuve, chevalier des Arts et des Lettres, médaille de la Résistance ..."
"Tu te dis que Mathilde est une vieille guenon plus bonne à rien et qui n'en fait qu'à sa tête."
Comme il l'explique en préface,
Pierre Lemaitre offre à ses lecteurs un dernier roman noir, mais il ne compte plus revenir au genre qui l'a fait connaître depuis le virage qu'il a pris avec
Au-revoir là-haut.
Alors il a fait les fonds de tiroir.
Oeuvre de jeunesse,
Pierre Lemaître n'avait que trente-quatre ans au moment de la rédaction de ce manuscrit. Il en aura cinquante-cinq à la sortie de
Travail soigné, la première enquête de Camille
Verhoeven.
Autant vous dire qu'on est quand même très éloigné de la trilogie des enfants du désastre, ou de ses incontournables polars (
Cadres noirs,
Alex,
Robe de marié ... ).
Mis à part la façon dont il malmène ses personnages, il n'y a absolument rien de commun dans le style, le ton, la narration ou même le genre. Ca reste noir mais bien plus humoristique que
Trois jours et une vie.
En réalité, ça aurait pu être écrit par Alfred Tartempion, c'était pareil.
Mais ça aurait été moins vendeur.
Mathilde est donc une tueuse sur le déclin, acariâtre et aigrie, qui perd un peu la tête.
Elle ne sera pas la seule à la perdre d'ailleurs.
"Au début elle s'est inquiétée, est-ce que je perds la mémoire ?"
Imaginez un peu cette dame âgée à l'allure innocente qui cherche en pleine capitale à occire ses cibles en suivant un schéma qui les protégeront elle et son organisation, alors que les premiers signes d'un Alzheimer se font ressentir ?
C'est le postulat de départ un peu fou du serpent majuscule, titre intrigant s'il en est.
"Des serpents plein la tête qui sont autant d'envoyés de l'au-delà."
Une vieille dame un peu folle qui va accomplir ses contrats par dessus la jambe sans plus se rappeler des précautions qu'elle a ou non prise et sans trop se soucier du protocole. Un travail pas du tout soigné.
Une étrange organisation gouvernementale qui doit se protéger en éliminant cet électron libre.
"La machine de destruction massive fabriquée par le système leur échappe."
La police, en particulier l'inspecteur René Vassiliev, qui va enquêter sur une série de meurtres qu'on peut facilement relier les uns aux autres.
Le jeu du chat et de la souris peut alors commencer.
Avec une ironie mordante,
Pierre Lemaître s'en donne à coeur joie, et la lecture s'est avérée extrêmement plaisante pendant les deux tiers du livre, avec des situations horribles, inattendues et surtout totalement décalées.
Certains dialogues sont tout bonnement savoureux, surtout ceux avec Mathilde qui n'est pas du tout du genre à se laisser marcher sur les pieds.
Parce que si elle est bel et bien totalement azimutée par moments, elle est également capable d'agir avec énormément de lucidité.
En revanche, on sent bien qu'il s'agit d'un premier roman assez vieillot et peu corrigé.
Le dernier tiers a tendance à tirer en longueur et n'amuse plus vraiment.
Et on a parfois l'impression de lire un véritable catalogue d'armes à feu. Ca canarde dans tous les sens en un massacre qui, de joyeux, devient lassant.
Un peu moins d'action et un peu plus de finesse chez les personnages aurait incontestablement donné une plus-value à ce serpent majuscule. On ne va pas loin par exemple avec le commissaire Occhipinti dont le seul signe distinctif est de manger des arachides toute la journée.
Il reste cependant une réflexion intéressante sur la vieillesse et le temps qui passe.
Dans le roman vous ferez également connaissance de monsieur de la Hosseray, également âgé et atteint de forts troubles de la mémoire, qui ne reconnaît parfois plus les personnes de son entourage.
Si le mot Alzheimer n'est jamais cité ( mais en parlait-on déjà en 1985 ? ), on voit qu'avec l'âge ce sont des pans entiers de souvenirs qui naviguent parfois sous la surface.
Et l'âge ( relativement ) avancé de ces différents personnages rappelle que le temps efface non seulement les souvenirs, mais aussi le passé à côté duquel on est irrémédiablement passé, les vies amoureuses ratées, les existences entières qui laissent un arrière-goût amer parce qu'il n'est plus possible de revenir en arrière.
Alors Carpe Diem.
Qui sait si demain ne sera pas le jour où un sniper vous abattra de deux balles, une dans les coucougnettes et la seconde en pleine tête ?