Avant, quand j’étais jeune, j’ai pu croire que j’aimais, quelquefois… mais maintenant seulement je comprends combien j’étais loin de la vérité ! Ma vie sentimentale n’a été qu’un grand champ aride et sec, qui attendait la fleur d’automne cent fois plus merveilleuse d’être tardive et nourrie de tous les sucs de l’été.
Pour l’homme de science et d’études, dont la vie tout entière, austère, isolée des plaisirs frivoles, s’était écoulée entre les livres et les manuscrits de sa bibliothèque, qui faisait de son professorat un sacerdoce si attachant qu’il avait refusé la chaire de philosophie qu’on lui offrait, à Paris, pour demeurer parmi ses élèves fanatiques de Caen, la venue dans sa maison d’une créature comme Anita était un bouleversement définitif.
Elle est partie comme une voleuse, emportant le cœur de mon fils, un matin, avant notre réveil. Il y a encore là-haut quelques menus objets à elle ; mais si tu avais vu le désespoir de Yan devant cette chambre déserte ! J’ai cru, les premiers jours, qu’il allait devenir fou ! Maintenant, devant la persistance de son chagrin, je redoute bien pire !
Ah ! la philosophie des philosophes ! La voilà mise à l’épreuve, tiens ! Qu’une bourrasque passe et elle arrache tout, ne laissant que le découragement, l’abandon veule. Parce qu’une intrigante est passée dans sa vie, le célèbre professeur Lorrez, dont les ouvrages sont lus et commentés dans le monde entier, est un homme fini, condamné !
Un savant, un philosophe n’aurait-il donc pas, contre son amour blessé, la même énergie qu’une enfant de dix-neuf ans ? Allons donc !
Mais l’enfant de dix-neuf ans ignorait tout ce qu’un homme de quarante-cinq peut mettre d’espoirs ultimes et de richesses définitives dans ce que, tout bas, il appelle son dernier amour !