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Critique de Dionysos89


Il y a incontestablement un approfondissement de la fantasy en cours chez les éditions Critic : il y avait déjà le duo Philippe WardSylvie Miller, ainsi que Lionel Davoust pour sa saga d'Évanégyre, Estelle Faye, Emmanuel Chastellière et Clément Bouhélier plus récemment, désormais il y a aussi Christian Léourier avec ce diptyque de la Lyre et le Glaive.

À l'aventure, compagnon !
Waard a une veine toute relative : gardien du plus grand pont de la région, il est responsable du péage imposé aux voyageurs au nom du hartl local. Or, contre sa volonté, l'eau finit par emporter l'ouvrage d'art et son sort est désormais entre les mains de son seigneur. Kelt, lui, est plus chanceux, car c'est un diseur de mots ; ses paroles façonnent le réel. Toutefois, ce n'est pas un thaumaturge comme bon nombre de ses collègues, non, il est un diseur de mots plus funeste : il entrevoit les tragédies et les énoncer leur font prendre réalité. C'est ce qui survient à l'infortuné gardien de pont qui lui refuse le passage au prétexte, fallacieux selon lui, qu'il n'a pas de quoi acquitter l'octroi, le péage auprès du seigneur. Cet événement est le déclencheur improbable d'une série d'événements mettant en scène ce diseur de mots et ceux qui croiseront son chemin, à leur risque et péril, car, au fond, comment peut-on se concilier quelqu'un qui annonce la vérité ?

Sur les chemins d'une fantasy nordique
Sans connaître Christian Léourier par sa prestigieuse série de SF, le Cycle de Lanmeur, aborder ce diptyque de fantasy qui débute avec Diseur de mots ne pose aucun problème tant son écriture est riche et fluide. Il lorgne sur une fantasy classique dans son décor médiévalisant, mais innovante dans ses fondements magiques. En effet, le nom des lieux donne forcément une teinte scandinave ou germanique au récit (nordique donc) : les provinces se nomment Lyorgmark, Heldmark ou Solkstrand et les noms des entités comme ceux des personnages laissent peu de doute à la « nordicité » de ces contrées (Hoggni, Skilf, Slegur, etc.). le choix de la couverture est intéressant du coup, car il ne s'appuie par sur ces éléments pour orienter notre découverte du livre. Toutefois, le coeur du roman ne réside pas dans son univers de base, mais bien dans ses personnages. le Diseur de mots, Kelt, que nous suivons, suit sa propre quête : en plus de devoir se sortir de situations cocasses ou dangereuses (devoir faire attention à ce qu'on dit car on annonce forcément la vérité, cela peut être problématique selon que la personne à qui on s'adresse soit puissante ou misérable), il cherche à retrouver celle qui lui a inspiré ce pouvoir en le conduisant dans un monde parallèle. Floqué de Hoggni, fier guerrier qui lui a sauvé la vie, il parcourt donc le monde à la recherche de ces passages privilégiés. C'est donc une sorte de « buddy roman » de fantasy qui nous est proposé pendant une bonne partie de ce livre, comme cela revient de plus en plus (pensons à Des sorciers et des hommes, de Thomas Geha, par exemple). Enfin, ces pérégrinations mettent en lumière un bestiaire et un imaginaire très liés à des endroits restreints, délimités dans l'espace par des barrières sacrées, des temples forestiers, des lieux reculés : nous sommes en plein dans un polythéisme du quotidien, où chaque force spirituelle ou puissance de la nature peut être totemisée afin d'essayer de la juguler ou de se la concilier.

Une fantasy du changement
Dès le prologue, est esquissé le principal thème de ce diptyque : un polythéisme assumé et particulièrement divers selon les espaces, qui voit arriver d'une des contrées une nouvelle religion qui rend compte à un dieu unique. Ce bouleversement, chaque parcelle traversée va commencer à la pressentir ; il est symbolisé par la poussée de l'Axe-divin venu du Solkstrand. À l'image de la quête anti-cultes orchestrée par exemple par Franck Ferric dans le Chant mortel du soleil, la lutte intestine entre des confessions et des clergés concurrents s'organise au point de renverser les rapports de force établis entre les provinces et entre les groupes ethniques. Fragilisant l'équilibre géopolitique local, ce sont des générations qui peuvent passer et trépasser : le pouvoir se transmet théoriquement selon un système féodal, mais cette transmission rencontre bien souvent des contextes très particuliers qui influent sur elle. Ainsi, ce roman est divisé en trois parties symbolisées par trois personnages féminins qui sont autant d'étapes de transition pour l'intrigue et le Diseur de mots. Aesa est celle qui lui a permis d'acquérir son pouvoir, aussi formidable que paradoxal ; Varka est celle qui le révèle dans son rôle d'humain ; enfin, Élyhora lui permet de se libérer de la tutelle qui a pesé sur lui tout le roman. Toutes trois, de façon plus ou moins directe, sont des forces le poussant à accomplir sa volonté. Plus généralement donc, la principale puissance affrontée par les protagonistes est l'inexorable temps qui passe, celui que chacun doit prendre de vitesse pour remplir la mission qu'il s'est imposée, ces forces de la nature qui inévitablement viennent recouvrir un jour ou l'autre le travail d'une vie ou de plusieurs. Cela peut être d'abord un simple torrent qui emporte un pont censé être solide et ruine ainsi une vie bien engagée, puis c'est une tempête qui se déchaîne et détruit tout un commerce ou une armée, enfin la fin du roman nous approche au fur et à mesure de puissances de plus en plus primaires et prégnantes qui nous laissent sur un mystère supplémentaire.

Diseur de mots est donc un très chouette premier tome, dont le lecteur aura à coeur de vite découvrir la suite, Danseuse de cordes, prévue pour s'attarder cette fois sur une nouvelle héroïne.

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