Imaginez une bonbonnière dans laquelle trente-trois bonbons auraient tour à tour le bon goût terreux d'un champignon, la fragrance de cuir et de bois d'un vin médocain, l'odeur animale du sang fraichement versé, le parfum salé des embruns d'Atlantique et tant d'autres saveurs que
Yan Lespoux a assemblées pour évoquer la terre où il a grandi. Mais qu'on ne s'y méprenne pas, que la couverture de ce recueil de nouvelles, sur laquelle le sol et les troncs longilignes des grands pins d'une forêt médocaine sont frappés des rais bistre qui transpercent la canopée, ne vous fasse pas croire qu'il va s'agir là d'une collection de petites odes à la nature mystico-végano-cuculapralino-écologiques. Non, ici, comme on dit à l'école, le Médoc (vous avez dit 33 ?) est circonstanciel, supprimable, déplaçable, et l'Humain est sujet. Ces petites tranches qu'a découpées
Yan Lespoux dans le gros saucisson de la vie (dans le grenier médocain de la vie, devrais-je dire) pourraient se dérouler dans n'importe quel coin de France, si tant est qu'on y garde jalousement la localisation de son coin à champignons, qu'on s'y balade au milieu des arbres et des cartouches tirées par les chasseurs, qu'on y savoure quelques verres de rouge ou de Pastis et qu'on fête, à l'ombre d'un noyé, l'ouverture d'une nouvelle saison touristique. Bref, ici, on s'attarde avec parcimonie sur les lieux (assez pour que le médocain y reconnaisse son terroir, et suffisamment pour que le tout-un-chacun y trouve sa terre) mais avec générosité sur les gens, les vrais, ceux que bien souvent on ne voit pas.
On ne peut pas parler ici de chacune des trente-trois nouvelles qui font l'unité de ce recueil, on a forcément des chouchoutes (« le surnom », « le cerf », « le couteau », « un secret » ou encore « le premier noyé de la saison » si je ne devais en dire que cinq) mais on reconnait à toutes la qualité d'écriture : des entames au cordeau – au sens pyrotechnique du terme –, des corps concis qui vont droit aux chutes. Et quelles chutes ! Yan Lesdoux maîtrise l'art de la nouvelle et nous fait profiter de ces moments choisis où les vies basculent. Sous sa plume empathique, le quotidien est une aventure, les invisibles prennent du relief, et l'humour fait jeu égal avec la mort. Dans «
Presqu'îles », un pluriel de destins se jouent dans la solitude qu'impose l'île et la solidarité qu'inspire le « presque », l'autre est accessible mais il se mérite, et l'identité est chaque fois questionnée comme l'appartenance innée, imposée ou désirée au territoire. Après avoir savouré les 33 bonbons de la bonbonnière, nous devions être nombreux à se dire qu'on aurait bien pris un peu de rab et nous fûmes exaucés : lors de la soirée de remise des prix @vleel_ , l'auteur, récompensé pour sa place sur le podium des auteurs 2021, et sa maison d'édition Agullo ont offert aux lecteurs une nouvelle inédite, « le Sapin » dont je ne dirai rien du contenu si ce n'est que j'ai pris beaucoup de plaisir à retrouver des personnages du Surnom dans cette chasse… au sapin aux couleurs de Noël (et aux relents de pinard et de pastaga).