La Tannerie (site fictif) c'est un lieu, une petite planète, à Pantin, si près de Paris, qu'on y va à pied, boire un verre après la journée de travail, dans les quartiers du nord-est de la capitale, où les cafés de Belleville sont incontournables.
Implantée au bord du canal pour la proximité de l'eau nécessaire aux activités de tannerie, l'usine est devenue au vingt et unième siècle, un lieu de culture à l'heure où les friches industrielles renaissent au regard des contemporains, pour leurs volumes, leurs espaces, le charme d'un monde perdu. Voilà donc
la Tannerie en plein essor, accueillant expositions, salons, défilés et pour faire vivre cette fourmilière, il faut du monde.
La Tannerie embauche donc, pour guider le public, renseigner, animer, surveiller… les jeunes qui s'y retrouvent ont des rêves d'ascension sociale qui s'appellent CDI, ils se retrouvent bien vite confrontés à un travail difficile et précaire qui exige beaucoup et donne peu de compensations.
Voilà ce que Jeanne va découvrir et le livre a le mérite de nous faire partager cette découverte, jour après jour, mois après mois, au rythme de la vraie vie, car s'apercevoir que rien n'est à la hauteur du rêve, ça prend du temps, deux années, deux étés défilent sous nos yeux et
la Tannerie prend forme dans le quotidien de Jeanne et ses collègues, avec un contexte social et politique qui prend progressivement sa place dans leur horizon quotidien, dont les limites se dessinent de plus en plus clairement.
L'écriture du livre est fluide, claire, poétique souvent. Les personnages sont bien campés, Jeanne, personnage principal est particulièrement crédible tant la relation de sa vie intérieure, ses interrogations, ses doutes, sont présentés avec précision, le lecteur l'accompagne tout au long de son parcours. Ce parcours est multiple et attachant : qu'il s'agisse de la découverte de Paris dans ses paysages et ses quartiers, de ses soirées arrosées qui donnent l'illusion qu'on n'est pas tout seul alors qu'en fait la solitude n'est jamais bien loin, de ses déceptions amoureuses car elle attend beaucoup et reçoit peu. Progressivement le caractère illusoire de ce bonheur parisien superficiel et froid, prend forme, les images de la Bretagne, ses camaïeux, sa douceur, viennent faire contre-point. Jeanne se sent perdue.
La force du livre c'est aussi de nous montrer comment cette déception qui se découvre progressivement dans sa vie personnelle, épouse la dureté des réalités sociales, qu'elle découvre également, aussi peu armée pour affronter l'un comme l'autre. C'est d'abord la dure réalité des migrants qui viennent s'installer tout près de
la Tannerie avant d'être chassés sans ménagement, ce sont les mois qui précèdent le vote de la loi travail, avec les cortèges de manifestants, pourchassés sans ménagements par la police, Jeanne affronte ce printemps 2016, se prend à espérer au rythme des nuits debout, place de la République. Sans que l'auteur n'appuie sur cette réalité politique et sociale, elle montre bien que Jeanne y trouve un point d'appui sans tout comprendre sans s'engager, presque de manière intuitive, comme une réponse inconciente à ce qu'elle vit tous les jours : les relations humaines décevantes, au bout du compte le CDI qui ne vient pas et le retour à la case départ.
Un livre plein d'humanité, qui met le lecteur en face de son temps.