AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,03

sur 87 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La Tannerie (site fictif) c'est un lieu, une petite planète, à Pantin, si près de Paris, qu'on y va à pied, boire un verre après la journée de travail, dans les quartiers du nord-est de la capitale, où les cafés de Belleville sont incontournables.
Implantée au bord du canal pour la proximité de l'eau nécessaire aux activités de tannerie, l'usine est devenue au vingt et unième siècle, un lieu de culture à l'heure où les friches industrielles renaissent au regard des contemporains, pour leurs volumes, leurs espaces, le charme d'un monde perdu. Voilà donc la Tannerie en plein essor, accueillant expositions, salons, défilés et pour faire vivre cette fourmilière, il faut du monde. La Tannerie embauche donc, pour guider le public, renseigner, animer, surveiller… les jeunes qui s'y retrouvent ont des rêves d'ascension sociale qui s'appellent CDI, ils se retrouvent bien vite confrontés à un travail difficile et précaire qui exige beaucoup et donne peu de compensations.
Voilà ce que Jeanne va découvrir et le livre a le mérite de nous faire partager cette découverte, jour après jour, mois après mois, au rythme de la vraie vie, car s'apercevoir que rien n'est à la hauteur du rêve, ça prend du temps, deux années, deux étés défilent sous nos yeux et la Tannerie prend forme dans le quotidien de Jeanne et ses collègues, avec un contexte social et politique qui prend progressivement sa place dans leur horizon quotidien, dont les limites se dessinent de plus en plus clairement.
L'écriture du livre est fluide, claire, poétique souvent. Les personnages sont bien campés, Jeanne, personnage principal est particulièrement crédible tant la relation de sa vie intérieure, ses interrogations, ses doutes, sont présentés avec précision, le lecteur l'accompagne tout au long de son parcours. Ce parcours est multiple et attachant : qu'il s'agisse de la découverte de Paris dans ses paysages et ses quartiers, de ses soirées arrosées qui donnent l'illusion qu'on n'est pas tout seul alors qu'en fait la solitude n'est jamais bien loin, de ses déceptions amoureuses car elle attend beaucoup et reçoit peu. Progressivement le caractère illusoire de ce bonheur parisien superficiel et froid, prend forme, les images de la Bretagne, ses camaïeux, sa douceur, viennent faire contre-point. Jeanne se sent perdue.
La force du livre c'est aussi de nous montrer comment cette déception qui se découvre progressivement dans sa vie personnelle, épouse la dureté des réalités sociales, qu'elle découvre également, aussi peu armée pour affronter l'un comme l'autre. C'est d'abord la dure réalité des migrants qui viennent s'installer tout près de la Tannerie avant d'être chassés sans ménagement, ce sont les mois qui précèdent le vote de la loi travail, avec les cortèges de manifestants, pourchassés sans ménagements par la police, Jeanne affronte ce printemps 2016, se prend à espérer au rythme des nuits debout, place de la République. Sans que l'auteur n'appuie sur cette réalité politique et sociale, elle montre bien que Jeanne y trouve un point d'appui sans tout comprendre sans s'engager, presque de manière intuitive, comme une réponse inconciente à ce qu'elle vit tous les jours : les relations humaines décevantes, au bout du compte le CDI qui ne vient pas et le retour à la case départ.
Un livre plein d'humanité, qui met le lecteur en face de son temps.
Commenter  J’apprécie          142
Comme dans les romans du XIXème, Jeanne monte à Paris, quittant la ferme de ses parents et sa Bretagne natale.
Elle trouve un emploi précaire à La Tannerie, une ancienne friche industrielle de 60.000 m2 au bord du canal à Pantin, transformée en centre culturel. La voilà dans un autre monde, celui de l'art et de la culture, sans en avoir les codes.
Son rôle d' « accueillante » consiste à renseigner les visiteurs perdus comme elle dans ce labyrinthe ! Cette première expérience se termine en fiesta après l'inauguration d'une expo réussie. La vie parisienne semble lui tendre les bras avec ses amitiés, ses sorties nocturnes, ses discussions de café, ses potins de toutes sortes. Il faut dire que La Tannerie est aussi une vaste entreprise où sont employés techniciens, artistes, agents administratifs, d'entretien, d'accueil. le patron, M.Leroy, fait de beaux discours d'homme de gauche pour valoriser « leurs » projets , tout en maintenant des emplois précaires, des bas salaires, des conditions de travail éprouvantes.
Jeanne observe, attend, s'éloigne des mal-vus et essaie de s'intégrer au groupe de Julien, son chef hiérarchique dont elle est amoureuse. Ce bel intello dragueur lui conseille Rohmer et Sebald. Il lui fait découvrir les rues de Paris. Elle rêve.
Quand des migrants plantent leurs tentes le long du canal près de la Tannerie, comme les autres d'abord elle compatit puis fait un détour pour ne pas passer devant eux, Elle participe aussi à Nuit Debout et prend part aux manifestations, parfois violentes, contre la loi travail. Sans bien comprendre le fond des choses.
Enfin on lui confie la formation de 3 jeunes du quartier dans le cadre d'un plan d'insertion en lien avec la mission locale. Elle pense gagner davantage et monter en grade : il n'en sera rien !
Dans ce roman l'autrice fait le portrait d'une époque.
Son écriture très classique suit les cheminements de la naïve Jeanne ce qui lui permet de dénoncer à distance l'hypocrisie dans les relations, la fausse bonne conscience du milieu culturel, la légèreté des engagements, la sophistication du langage de classe, la précarité des jeunes. Ses descriptions de l'architecture parisienne, des paysages maritimes ou des mouvements de foule sont absolument magnifiques.
Je ne peux que conseiller cette lecture à tous. Encore merci à Babelio et aux éditions Tristram pour cette belle découverte.

Commenter  J’apprécie          40
Tout le monde en prend pour son grade dans ce roman, qui ne se contente pas de dénoncer la fatuité du petit milieu de l'Art et de la Culture soi-disant pour tous. le directeur "sévère, intraitable, colérique, mais doté de grandes qualités humaines". Les employés, qui râlent quand le chef de service, victime d'une chute causée par une oeuvre d'art, part en congé maladie, car on ne peut pas diriger un service sans chef; mais qui se plaignent lorsqu'il revient. le chef de service lui même, qui évidemment dénigre ce qui a été accompli en son absence. Les petites mains, qui se pâment devant des oeuvres hermétiques, telle cette Tour Eiffel en sucre censée critiquer la société de consommation. Les artistes venus de pays comme la Syrie ou la Palestine, qui exposent n'importe quoi au prétexte de magnifier la souffrance de leurs compatriotes restés là-bas. Les accueillants, dont fait partie Jeanne, formés à la va-vite et n'importe comment, incapables de renseigner le public. le public enfin, qui vient voir les expos, avale des hamburgers et des frites bien grasses, tout en se plaignant qu'il n'y ait pas de san Pellegrino au bar. Comme le dit l'un des personnages, des gens tous pareils et qui se croient irremplaçables... Et bien entendu, la Tannerie va céder aux sirènes du privé, accueillant dans ses locaux des start-ups "travaillant sur un modèle horizontal". Bref, on navigue entre dérision et pitié...

Dans un style descriptif précis, Celia Levi nous fait vivre les tourments de Jeanne, qui n'a sa place nulle part: ni à la Tannerie, ni parmi ses parents, paysans en Bretagne. On pense à Kafka lorsqu'elle se perd dans les couloirs de la Tannerie, mais aussi au Rica des Lettres Persanes de Montesquieu, à propos de la fatuité des habitués de ce petit milieu de la culture. Lequel, comme on en aura la confirmation à la fin, méprise complètement son petit peuple d'employés: un constat que l'on peut faire dans tous les secteurs de la société. Un livre qui fait réfléchir, sourire par moments, à la fois jouissif, lucide, et amer.
Commenter  J’apprécie          20


Lecteurs (198) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3661 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *}