Ce que je ne veux pas savoir

Quand je vais dans le jardin en pyjama, je pose une question au bonhomme de neige. Je lui parle comme d’autres parlent à Dieu, je lui parle dans ma tête et il me répond. “Qu’est-ce qui va se passer ?” Le bonhomme de neige me dit : “Ton père va être jeté au fond d’un donjon et torturé et il hurlera toute la nuit et tu ne le reverras plus jamais.”

La crainte de ne jamais voir mon père arriver ralentissait tout. Les nuages se déplaçaient lentement à travers le ciel. Les gens marchaient lentement sur le trottoir. Les chiens aboyaient lentement. (p. 95)

Je réalisai que l'écriture de ce livre était pour moi comme une opération à cœur ouvert (pour parler comme un chirurgien) dans les questions qu'il posait : "Que fait-on du savoir qui nous empêche de vivre ? Que fait-on de ce qu'on ne veut pas savoir ?" Je ne voulais pas savoir comment présenter mon travail, mon écriture au monde. Je ne savais pas comment ouvrir une fenêtre comme une orange. La fenêtre était retombée comme une hache sur ma langue.

Ce dernier exigeait de nous d'être passives mais ambitieuses, maternelles mais pleines d'une énergie érotique, dans le sacrifice mais comblées - mais devions être des Femmes Modernes et Fortes tout en étant soumises à toutes sortes d'humiliations, tant économiques que domestiques. Si nous passions la plupart de notre temps à culpabiliser sur tout, nous n'étions pas certaines pour autant de savoir ce que nous fait de travers. p25

« Parler haut, ce n’est pas parler plus fort, c’est se sentir autorisé à énoncer un désir. On hésite toujours, quand on désire quelque chose. Dans mon théâtre, je préfère montrer l’hésitation plutôt que de la cacher. Une hésitation n’est pas la même chose qu’une pause. C’est une tentative de rejeter le désir. Mais quand vous êtes prêt à vous saisir de ce désir et à mettre des mots dessus, alors même un murmure, les spectateurs l’entendront. » p. 20

Quand l’amour tourne mal, on se met à voir l’envers plutôt que l’endroit.

J’avais oublié combien ma marraine était énorme. Quand elle me serrait dans ses bras, je disparaissais dans les plis de son ventre. Tout devenait noir, les bruits étouffés, et j’entendais l’eau goutter dans sa tuyauterie. Un grondement qui rappelait la mer située à huit kilomètres de la maison.

J’aimais Maria, mais je ne sais pas trop si elle m’aimait. La politique et la pauvreté l’avaient séparée de ses propres enfants et elle était épuisée par les enfants blancs dont elle avait la charge, par tout et tous ceux dont elle avait la charge.

Si ses yeux voulaient disparaître dans sa tête, c'était, me semblait-il, parce qu'elle refusait de voir que la réalité qu'elle avait choisie pouvait tout aussi bien la massacrer. (p. 31)

Oui, j'ai souvent rappelé mes filles pour remonter la fermeture Eclair de leur manteau. Je savais pourtant qu'elles préféraient le froid et leur liberté. (p. 30)