Bizarre, mais en l'occurrence j'aurais adoré avoir la gueule de bois. Parce que, quand vous êtes occupé à récupérer de vous être mis minable, vous en oubliez en l'espace d'un instant à quel point vous êtes minable.
...Il sortit un paquet de cigarettes et le tapota dans sa paume pour en faire tomber une qu'il porta à sa bouche.
Tanner apparut juste à temps pour la lui subtiliser.
"Pas ici, Lèo."
Léo secoua la tête.
"Il fait un froid à ne pas mettre un pingouin dehors.
- Arrête, tu sais très bien que c'est la loi.
-Rappelle moi comment je suis sensé répondre déjà... ah oui, je sais; " La loi, c'est moi."
- Il y a des gens ici qui n'ont pas envie d'avoir d'un cancer, intervint Renée.
- Quand tu vis dans ce bled, le cancer est une bénédiction.
En prison, mes cheveux étaient mon unique possession, la dernière chose qui faisait de moi qui j’étais. Une vraie galère à entretenir, d’ailleurs, vu que pendant une éternité les seuls produits de beauté auxquels j’avais droit étaient ces sachets de shampoing aqueux pas plus grands que les machins de ketchup qu’on vous distribue au McDo. D’autres filles rêvaient de sexe, de drogue ou de cigarettes ; moi, j’aurais donné mon rein gauche pour un putain de flacon de Pantène
Je n'avais pas réussi à trouver tellement d'infos sur Ardelle, si bien que je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Ce que je savais, c'est qu'elle était classée comme "secteur statistique non incorporé", euphémisme aussi aimable que possible pour "trou du cul du monde".
« Rebecaaaaaaaa ! » cria une voix dans le vent.
(« Mrs Danvers » ? faillis-je murmurer en réponse (p.427)
Six semaines après ma sortie, le dernier mardi d’octobre, j’étais plantée devant un miroir dans un hôtel en bordure de Sacramento. J’avais l’impression d’être là depuis des plombes, à me tortiller les cheveux comme une conne de préado en cherchant le courage de me les couper et de me les teindre.
Et j’ai ignoré la petite voix me soufflant que tuer de nouveau serait la seule façon de jamais en avoir le cœur net.
Et en prison, coupée de tout moyen réel d’investigation, je n’avais d’autre outil que l’introspection. Je me suis mise à considérer le moindre geste du quotidien comme un augure, une boule de cristal, un foie de mouton. Comment une tueuse se brosserait-elle les dents ? Comment se coifferait-elle ? Est-ce qu’elle prendrait du sucre dans son café ? Du lait dans son thé ? Est-ce qu’elle ferait un double nœud à ses lacets ?
Mais non, je déconne. Parce que vous croyez qu’on m’aurait donné des lacets ?
De toutes les épreuves de l’incarcération, c’était sans doute la pire : j’étais une personne fondamentalement rationnelle réduite à une divination rudimentaire. Alors je me suis promis que, si je sortais un jour, j’essaierais de savoir ce qui s’était réellement passé, qui j’étais vraiment.
J’étais rongée par le doute, des asticots qui grignotaient les restes de mon cerveau déjà en état de décomposition avancé.
C’est déjà assez difficile de clamer votre innocence quand tout le monde est persuadé du contraire. Ça devient carrément impossible quand vous-même n’êtes sûre de rien… si ce n’est du fait, atroce et irréfutable, que vous n’avez jamais vraiment aimé votre mère.