Ma première lecture de «
Croc-Blanc » remonte maintenant à une quinzaine d'années et j'en avais presque tout oublié à l'exception de la scène d'ouverture. Il faut reconnaître que cette scène a de quoi marquer les esprits ! Voyez plutôt : au beau milieu du blizzard, deux hommes fuient, talonnés par une meute de loups hurlants et affamés. Deux hommes et un cadavre, car le troisième équipier de cette sinistre traversée est mort depuis longtemps et c'est le poids de son cercueil qui alourdit le traineau et épuise les maigres forces des chiens. Les nuits se trainent dans un enfer de glace, de sang et de hurlements, et les loups prélèvent chaque matin leur dîme, dévorant les chiens les uns après les autres, jusqu'à qu'il ne reste plus que les deux hommes, transis et terrifiés… Flippant, hein ?
Or l'un des loups est une louve (ou, plus précisément, une louve à moitié chienne) et cette louve est enceinte jusqu'aux yeux. Elle va accoucher en pleine période de famine et de sa portée ne survivra qu'un petit louveteau, plus solide, plus intelligent et surtout considérablement plus tenace que ses frères et soeurs. le louveteau grandira, il découvrira les dangers et les délices de la vie dans le « Wild » où s'affrontent les prédateurs les plus féroces, avant d'être confronté au plus dangereux de tous : l'homme. le destin mettra en contact
Croc-Blanc et les « dieux humains » et son instinct le poussera à se rapprocher d'eux et à les servir, mais le prix de cette servitude plus ou moins volontaire sera terrible… Des hommes,
Croc-Blanc apprendra l'injustice, la cruauté gratuite, la haine et la vraie sauvagerie, celle qu'il n'aurait jamais acquise en vivant dans la nature. Il finira également par apprendre l'amour et la compréhension mutuelle, mais cette découverte viendra presque trop tard et n'effacera jamais complétement les cicatrices qu'aura laissées sur son âme cette vie de souffrance et de lutte.
En vérité, à la relecture de «
Croc Blanc », je m'étonne que ce roman ait été si longtemps classé dans la littérature jeunesse : de nombreux passages sont d'une crudité presque choquante (on est loin de la bibliothèque rose…) et pourraient difficilement être considérés comme s'adressant exclusivement à un jeune public.
Jack London renvoie constamment dos à dos la cruauté du monde animal et celle du monde « civilisé » des humains, deux univers entre lesquels
Croc-Blanc – du fait de sa nature particulière, mi-loup, mi-chien – est écartelé . La scène d'ouverture du roman trouve notamment son écho dans celle du combat de chiens, où
Croc-Blanc se fait à moitié égorger par un bull-dog sous les rugissements d'enthousiasme d'une foule assoiffée de sang. Un roman dur et souvent violent, donc, mais également fort touchant par moments (difficile, par exemple, de ne pas s'attendrir sur les premiers pas de louveteau de
Croc-Blanc et sa découverte du si merveilleux, mais si effrayant monde extérieur) et qui n'a pas volé son statut de grand classique du roman d'aventure.