Aucune démonstration lucide du caractère logique et inévitable du socialisme ne me touche aussi profondément et d'unemanière aussi convaincante que j'ai été touché le jour où j'ai vu pour la première fois les parois de l'abîme social se dresser autour de moi et que je me suis senti glisser, glisser dans le dépotoir qui se trouve tout au fond.
Je me suis aperçu que cela ne me plaisait pas de vivre dans la société à l'étage du salon. Intellectuellement, je m'y ennuyais. Moralement et spirituellement, j'étais écœuré (...)
C'est pourquoi je suis retourné à la classe ouvrière, dans laquelle je suis né et à laquelle j'appartiens. Je ne me soucie plus de monter. L'imposant édifice de la société qui s'élève au-dessus de ma tête ne recèle pour moi rien de délectable. Ce sont les fondations de cet édifice qui m'intéressent.
Il est admis que le travail et les vicissitudes donnent le rythme au pas de l'homme tandis qu'il trébuche en direction de la tombe ; et cela est bien. Sans l'amertume, nous ne connaîtrions pas la douceur.
Comme l'a dit un Français: " l'escalier du temps résonne sans cesse du bruit des sabots qui montent et des souliers vernis qui descendent". (Ce qu signifie la vie pour moi, p.227)
En ce qui concerne la lutte des classes, il n'y a pas de bon capitaliste ni de mauvais travailleur. Tout capitaliste est votre ennemi et tout travailleur est votre ami
Les travailleurs syndiqués ont pris conscience de leur classe et de la lutte qu'elle mène contre la classe des capitalistes. Etre membre de la milice, c'est être un traître au syndicat, car la milice est une arme utilisée par les employeurs pour écraser les travailleurs dans la lutte entre les groupes antagonistes.
Pas de quartier! Nous voulons tout ce que vous possédez. Rien de moins que tout ce que vous possédez, sinon nous ne serons pas satisfaits. Nous voulons dans nos mains les rênes du pouvoir et la destinée de l'humanité
Mais le dernier et le plus significatif des besoins auxquels répond cette armée de main-d'oeuvre [NB : les sans-emplois stables] en surplus reste à préciser. Cette dernière est un moyen de contrôler la main-d'oeuvre utilisée. C'est la laisse par laquelle les patrons maintiennent les ouvriers à la tâche ou les y ramènent quand ils s'insurgent. C'est l'aiguillon qui oblige les travailleurs à conclure ces «contrats libres» contre lesquels ils se révoltent de temps à autre. Les grèves n'échouent que pour une seule raison : il y a toujours énormément d'hommes à prêts à prendre la place des grévistes.
Les travailleurs continueront à demander d'être mieux payés, et les employeurs continueront de résister. C'est l'idée dominante du laisser faire* - chacun pour soi et le diable a le dernier mot. C'est là-dessus que l'individualiste effréné fonde son individualisme. C'est la politique du laisser-faire*, la lutte pour l'existence qui consolide le fort, détruit le faible, crée une race d'hommes supérieurs et plus doués.
La lutte des classes, p 243
*en français dans le texte.
À travers toute cette expérience, j'ai noté une chose. Ce n'était pas moi qui avais changé, c'était la communauté. En réalité mon point de vue socialiste se raffermissait, s'accentuait. Je le répète, c'était la communauté qui changeait, et, à ma grande tristesse, je découvris que le but qu'elle poursuivait n'excluait pas qu'elle cherche à me couper l'herbe sous le pied.
Préface à "Guerre des classes", p 232