Tombé des cieux
J’avais la passion des étoiles, m’a confessé mon ami.
Que de soirs j’ai passés à regarder le ciel en une heureuse et muette contemplation. Ce qui faisait mon plaisir sans mélange, c’est qu’il n’y entrait aucune préoccupation scientifique, pas le moindre calcul savant. Je n’ai jamais cherché à savoir si les étoiles sont fidèles aux rendez-vous que leur assignent les almanachs aux cartes célestes, selon le cours des mois, et je n’ai pas voulu connaître leurs noms ; elles auraient alors revêtu un caractère trop humain. Leur beauté me suffisait, elle m’inondait l’âme d’une petite pluie lumineuse, fraîche et lente.
Certaines nuits, c’était un fourmillement de menues étincelles, et par endroits, une large traînée de lumière neigeuse. D’autres fois, quelques étoiles oubliées, çà et là, attiraient le regard par leur splendeur solitaire. De temps en temps, une se détachait et s’éteignait en fuyant.
Je contemplais cela la paix dans le cœur, inconscient des heures qui s’écoulaient, avec personne qui me rappelât qu’en s’écoulant le temps se perd.
Depuis qu’un labeur mercantile remplit mes jours, même aux instants de loisir, je ne lève plus les yeux au ciel, sinon pour constater les conditions atmosphériques. J’ai perdu la faculté de me recueillir sur autre chose qu’une phrase anglaise, – quand je traduis, – et je ne peux plus rassembler en une seule les petites impressions qui m’effleurent le cerveau, car ma sensibilité s’est comme désagrégée. Mon ancienne émotion devant le spectacle stellaire est morte : je ne ressens plus en profondeur. J’ai usé quelque chose de mon être, quelques fibres délicates et subtiles qui ne frémiront jamais…
Ainsi parlait mon ami.
Et j’ai compris pourquoi Platon conseillait de chasser les poètes de la république modèle : probablement que, d’un regard prophétique, voyant les pays de chez nous vautrés dans la matière, il voulait leur éviter la honte d’avoir tué l’idéal, par souci de l’honneur universel.