Depuis de nombreuses années,
Jean-Pierre Luminet s'interroge sur la topologie de
l'Univers. Dans cet essai, il synthétise le fruit de ses réflexions :
l'Univers est-il plat ou courbe ? Est-il ouvert ou fermé ? Fini ou infini ? Relatif ou absolu ? Ressemble-t-il plus à un Mollusque universel qu'à une Fougasse hyperbolique (sic) ? Si vous souhaitez connaître ce qui se cache derrière ces lancinantes questions, ce livre est fait pour vous.
Mais attention, Luminet, astrophysicien de renommée internationale, spécialiste des trous noirs et de la topologie cosmique, est aussi à ses heures perdues un poète et un écrivain. Et un Luminet mal luné peut ruminer des idées lumineuses (désolé, je n'ai pas pu résister). Par exemple, Luminet adapte ici le contenant au contenu : il structure son texte de manière à permettre plusieurs itinéraires de lecture possibles, en proposant des raccourcis, bifurcations, croisements, sorties et entrées multiples… Un livre « dont vous êtes le héros » à la structure labyrinthique, comme pour faire comprendre au lecteur le sens du mot « chiffonné » qui figure dans le titre (les mathématiciens préfèreront parler d'espace topologique non simplement connexe, mais c'est la même chose).
Pour ne pas me perdre en route, j'ai joué la prudence et choisi de ne pas suivre les nombreux renvois et allers-retours proposés en adoptant une lecture bêtement séquentielle. Déjà, pour comprendre le concept d'Univers chiffonné, mieux vaut ne pas perdre le sens de l'orientation, et il est préférable d'affronter les idées de Luminet de face, plutôt que de profil, ou encore selon l'angle défini par la structure à base de dodécaèdres rhombiques découverte par Hantzsche et Wendt en 1935, qui est la sixième forme d'hypertore orientable dans un espace euclidien multiconnexe fini à trois dimensions (je mets ça pour l'exemple, mais le livre est truffé de trucs de ce genre). Luminet explore toutes les topologies possibles (et leurs conséquences) qui permettraient de décrire la structure de
l'Univers, et, je ne vous le cache pas, sa préférence esthétique va plutôt vers l'espace sphérique dodécaédrique de Poincaré, prosaïquement dit « Univers en ballon de football » qui illustre magnifiquement la couverture du présent essai paru chez folio, ainsi que celle d'un numéro de la prestigieuse revue Nature publié en 2003 (faisant la fierté de l'auteur).
Cet essai véritablement très complet aborde dans ses nombreux et tortueux méandres des sujets très variés et il est bien entendu difficile de les citer tous ici, en voici néanmoins quelques-uns : les géométries non euclidiennes, l'âge, la dimension et la structure, finie ou non, fermée ou non, courbée ou non, de
l'Univers, les différents modèles du big-bang, les dessins géométriques de Mauritz Cornélius Escher, les observations provenant des satellites COBE et WMAP, les mirages gravitationnels prévus par Einstein, le problème des sept ponts de Königsberg, la détection de la matière sombre et de l'énergie noire, les multivers, le paradoxe de la nuit noire, et, aussi, ce qui va suivre, je garde le meilleur pour la fin.
J'avais lu cet essai cet été, et au moment de rédiger cette chronique, j'ai parcouru rapidement les pages, schémas et illustrations afin de me remémorer son contenu. Et… surprise ! Je découvre aujourd'hui que cet ouvrage scientifique un peu ardu m'avait fourni en avant-première certaines des clés permettant de comprendre le film Interstellar de
Christopher Nolan, sorti sur nos écrans en novembre 2014 !
En voici trois exemples :
1. le trou de ver : Bien entendu, d'autres auteurs, tels que
Stephen Hawking, abordent la géométrie du trou de ver dans leurs ouvrages. Comme Hawking, Luminet théorise les trous de ver et les possibilités de voyager à des distances colossales en empruntant ces raccourcis de l'espace-temps. Prudent, il parle de théorie spéculative et de science-fiction, mais illustre néanmoins son propos par un joli schéma (page 60), plus convaincant que le stylo trouant une feuille de papier dans le film.
2. le trou noir : L'image simulée par ordinateur d'un trou noir, élaborée par
Jean-Pierre Luminet (figures 5a et 5b de l'encart couleur), a été vue partout pour expliquer pourquoi un trou noir devrait ressembler à ce que l'on peut voir dans le film : une image déformée et redressée verticalement du disque d'accrétion entourant le trou noir Gargantua, en raison de la forte gravité, qui rend visibles les faces « cachées » du disque.
3. le tesseract : L'hypercube est au cube ce que le cube est au carré. La multiplication des images dans cet hypertore parallélépipédique, expliquée et superbement illustrée (page 118), rappelle furieusement le tesseract du film Interstellar. le temps joue dans le film le rôle de la quatrième dimension de l'hypercube quadridimensionnel, encore appellé tesseract.
Tout ceci est très plaisant et extrêmement jouissif, mais j'ajouterai néanmoins un petit bémol. L'édition « revue et augmentée » de cet essai date de 2005.
Jean-Pierre Luminet semble appeler de ses voeux la confirmation de sa théorie d'un Univers en forme d'espace sphérique dodécaédrique de Poincaré par l'analyse des données de WMAP. Or, aujourd'hui, la mission du satellite Planck lancé en mai 2009 a permis d'affiner en 2013 les résultats de WMAP et de COBE et je n'ai pas entendu parler à ce jour d'une quelconque confirmation de ce genre, bien au contraire, la « platitude » de
l'Univers aurait été confirmée avec une valeur incompatible(*) avec le modèle proposé (-0,0029 < 1-Ω < +0,0008). Chiffonnant, non ?
(*) Dans son livre
L'Univers chiffonné,
Jean-Pierre Luminet aurait aimé trouver une valeur du paramètre de densité de
l'Univers Oméga = 1,013 (page 452), donc une courbure spatiale positive de 0,013. Il annonce "une valeur de inférieure à 1,01 éliminerait l'espace de Poincaré comme modèle physique". Or, la densité maximale mesurée Ωmax = 1,0029 reste largement inférieure à 1,013 ce qui invalide son hypothèse.