Nous retrouvons dans ce livre quelques personnages du roman précédent,
le juste milieu :
Aristote, bien sûr, mais également sa concubine Herpyllis ainsi que Pythias, la fille que le philosophe a eu de sa 1ère femme, et qui est le personnage central de l'histoire.
Apparemment, l'auteure s'est inspirée d'un passage du testament d'
Aristote pour imaginer une partie de son intrigue : "Lorsque ma fille aura l'âge requis, on la donnera en mariage à Nicanor ; mais s'il lui arrive malheur (ce qu'aux dieux ne plaise, et qui n'arrivera pas) avant son mariage, ou une fois qu'elle sera mariée mais sans qu'il y ait eu d'enfants, Nicanor aura tout pouvoir, tant par rapport à l'enfant que par rapport à tout le reste, et en disposera d'une manière digne à la fois de lui-même et de nous."
Mais pour l'instant, nous n'en sommes pas là. Pour l'instant, Pythias a 7 ans, et elle vit avec sa famille à Athènes où son père a fondé sa fameuse école le Lycée pour y transmettre son savoir. En dehors du Lycée, il a trouvé un élève curieux et assidu en la personne de sa fille, qui contrairement à Nicomaque, son demi-frère, se passionne pour son enseignement, ce qui fera dire au philosophe qu'il aurait préféré qu'elle soit un garçon (gageons qu'à l'époque, cette remarque était un sacré compliment !^^).
Faisant fi des usages,
Aristote la laisse assister au symposium (banquet normalement réservé aux hommes, auquel seules les esclaves ou les courtisanes peuvent assister) qu'il donne chez lui avec les grands esprits de l'époque ; les invités ne manquent pas de remarquer la singularité de cette adolescente vive et intelligente, et de souligner d'une phrase aussi désespérante que clairvoyante sa future vie de femme savante : «... tu es condamnée à la solitude» (page 28) ; en effet, contrainte, une fois mariée, à ne fréquenter que des femmes sans instruction, elle ne pourra espérer de discussions stimulantes ; de surcroît, elle devra obtenir l'autorisation de son mari pour continuer à lire des livres. La fracture risque donc d'être traumatisante entre son enfance idéale et anti conformiste et son passage dans la réalité quotidienne des femmes.
Pythias a désormais 13 ans. Un événement naturel va la renvoyer à sa condition de femme : elle a ses premières règles mais son père lui promet de ne pas la marier avant ses 18 ans. le même jour,
Aristote recueille un cousin pauvre d'Amphissa, Jason, qu'il surnomme Myrmex (petite fourmi) et pour lequel il délaisse Pythias, obligée progressivement à se tourner vers des activités exclusivement féminines.
Pythias a maintenant 16 ans.
Alexandre le Grand vient de mourir. A cette nouvelle, l'hostilité des Athéniens se cristallisent contre les Macédoniens installés dans leur cité, obligeant
Aristote et sa famille à repartir pour la Macédoine où ils s'installent à Chalcis.
Mais à la mort de son père, la jeune fille va devoir trouver sa place dans ce monde misogyne qui nie son instruction, son intelligence et ses aspirations. Privée d'une figure d'autorité masculine, Pythias n'a plus aucune protection ni recours, et voit sa vie se déliter peu à peu.
Si j'ai beaucoup aimé la 1ère partie du livre, j'ai ressenti beaucoup de frustration à la lecture des 2è et 3è parties qui sont complètement survolées, donnant l'impression que l'auteure avait hâte d'en finir. C'est dommage car cette partie sur les errements de Pythias et ses tentatives d'émancipation m'intéressaient énormément. Malheureusement, on a l'impression que l'intrigue est inaboutie (pour souligner mon propos, la 1ère partie comporte 120 pages, la deuxième 83 et la dernière 31, donnant un aspect complètement déséquilibré au récit). Je n'ai pas forcément compris l'utilité de certaines scènes, ou alors je les ai trouvées mal intégrées au texte, les rendant invraisemblables. Les épreuves que Pythias subit (les prêtresses d'Artémis, le bordel, le métier de sage-femme) symbolisent son rite de passage de l'adolescence à l'âge adulte mais sont traitées d'une manière tellement expéditive qu'elles n'ont pas réussi à me convaincre. Lors de la maladie de Pythias, quand l'auteure introduit cette touche de fantastique avec l'apparition du dieu sous les traits du bel officier Euphranor, ou fait subir à son héroïne toutes ces épreuves successives, j'ai cru que ces épisodes faisaient parti d'un cauchemar provoqué par la fièvre tant le récit me semblait décousu et peu approfondi.
Du coup, le comportement de certains personnages parait un peu artificiel : par exemple, Myrmex disparaît , ré-apparaît brutalement pour re-disparaître aussitôt sans que l'on en apprenne davantage sur ses motivations (même si l'on a deviné qu'il n'était qu'un voyou indigne de confiance !)...
Par contre, j'ai adoré la manière dont l'auteure distille, au détour d'une phrase, mille et une informations sur le quotidien de ces Grecs de l'Antiquité, sur la place dévolue aux hommes et aux femmes. et qui prennent toute leur saveur pour le lecteur attentif. Rien que la 1ère phrase est riche d'informations : le couteau évoquant les fêtes religieuses qui rythment la vie des Athéniens et le statut des étrangers ; page 56,
Annabel Lyon, quand elle évoque le mariage impossible entre Pythias et un Athénien ("Nous resterons des étrangers jusqu'à notre mort, soupire mon père. Pas un Athénien ne voudra d'elle. Elle est née en Macédoine. Elle ne peut pas donner naissance à un citoyen athénien.") fait allusion à la loi de Périclès de 451 qui limite la citoyenneté athénienne à ceux dont les deux parents sont athéniens (alors que la filiation par le père suffisait auparavant). Et le récit fourmille ainsi de petits détails très instructifs, sans que cela ne gâche notre immersion dans Athènes ou à Chalcis. Ajoutez à cela que l'écriture est fluide et les descriptions des lieux ou des sentiments très joliment retranscrits, parfois même poétiquement, rendant notre lecture très agréable.
Pour conclure, la lecture d'
Aristote, mon père me laisse un peu sur ma faim : après une 1ère partie prometteuse, j'ai été déçue par le traitement trop rapide de la seconde partie rendant les scènes du récit initiatique de Pythias peu crédibles à mes yeux. Les moyens pour une femme grecque de l'Antiquité de conquérir son indépendance étaient extrêmement limités (au métier de courtisane ou de sage-femme) et auraient mérité d'être plus développés pour mieux comprendre le prix à payer d'une telle liberté. Si bien que la lecture laisse comme un goût d'inachevé... Peut-être qu'une deuxième lecture effacera cette impression mitigée car l'idée de départ m'avait vraiment enthousiasmée !
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