Les Échelles du Levant /
Amin Maalouf
L'histoire commence à Paris en 1976 par une rencontre fortuite entre le narrateur écrivain et un homme qui recherche les rues de la capitale portant le nom d'un résistant de la Seconde Guerre Mondiale. Un homme dont il a vu la photo dans un manuel d'histoire et dont il veut connaître les raisons de cette recherche. Se refusant dans un premier temps à toute confession, l'homme finalement accepte de raconter son histoire et devient de ce fait le second narrateur.
Il est le descendant d'un souverain turc qui régnait alors sur les rives du Bosphore, à Istanbul. Ce souverain au lendemain de sa déchéance fut retrouvé mort dans sa chambre. Suicide ou crime ? On ne le saura jamais. Sa fille adorée Iffett sous le coup de la douleur perd la tête et sombre dans une sorte de folie. Sa mère alors au lieu de la voir enfermée dans un asile la confie au médecin de la maison, le Dr Ketabdar qui va la soigner et qui finit par l'épouser. Ils s'installent à Adana dans le sud du pays et vient à naître un fils qui est le père du narrateur.
le fils a seize ans lorsque le Docteur meurt. Il se prend de passion pour la photographie avec son meilleur ami Noubar, un arménien. Une amitié peu ordinaire à cette époque où déjà les deux communautés se haïssent. À la suite d'émeutes à Adana, Noubar se sent menacé avec son épouse Arsinoé et décide de fuir à l'étranger. C'est Arsinoé qui lui suggère le Liban où vit un de ses oncles. le fils propose alors à Noubar de les accompagner au Liban et celui-ci lui promet sa fille Cécile s'il vient vraiment avec eux. Seulement Cécile n'a que dix ans. Ils partent tous ensemble pour le Liban et il l'épousera à l'âge de quinze ans, en 1914 juste avant la Grande Guerre. Cécile en 1915 eut une fille puis un garçon, le narrateur, et mourut en mettant au monde son frère cadet, Salem, alors que lui-même avait quatre ans. Nous sommes alors en 1922.
L'obsession du père c'est de faire de son fils aîné qu'il a appelé Ossyane - (le narrateur, Ossyane donc, nous révèle qu'il a toujours voulu cacher ce prénom venu on ne sait d'où !)- un dirigeant révolutionnaire. En despote obsédé, il va tout faire pour atteindre ce but. Mais avec l'aide de sa soeur Iffett (comme la grand-mère) et de Noubar, il va convaincre son père de la laisser partir en France étudier la médecine, son rêve depuis qu'il est adolescent. Salem, lui est le rebelle de le mauvais garçon de la famille, tandis que Iffett est la fidèle confidente de Ossyane.
Peu après l'arrivée d'Ossyane à Montpellier pour étudier la médecine éclate la guerre et c'est vers la Résistance que va se tourner l'étudiant, sous me pseudonyme de Bakou alias Picard alias Ketabdar. Au sein du réseau où il transmet le courrier à travers toute la région lyonnaise, il fait connaissance de Clara Emden, une jeune juive. de coursier de l'ombre il passe à faussaire pour la Résistance jusqu'à la Libération. Puis c'est retour au pays, à Beyrouth pour retrouver les siens ou ce qu'il en reste. Devenu un héros malgré lui, il donne des conférences et espèrent revoir Clara.
Sa déclaration d'amour à Clara est un des moments les plus émouvant du récit d'Ossyane. Il y aura le mariage en France, puis le retour au pays pour vivre leur amour, partagés entre Haïfa la ville de Clara et Beyrouth celle d'Ossyane. Nous sommes alors en 1947 et la région s'embrase avec le conflit entre Arabes et Juifs qui va crescendo jusqu'à son apogée le 14 mai 1948 avec la proclamation de l'indépendance d'Israël. Ossyane se trouve séparé de Clara enceinte et restée à Haïfa tandis que lui est au chevet de son père mourant à Beyrouth. « Moi, de l'autre côté de cette frontière infranchissable, j'avais laissé ce que j'avais de plus précieux au monde. » Pourra-t-il surmonter cette séparation douloureuse jusqu'à la folie ? Comment vivre séparés un amour aussi incommensurable ? En guise de viatique pour avancer dans cette vie insensée, Ossyane conserve sur son coeur la photo de Nadia, sa fille née entre temps, que Clara a réussi à lui faire parvenir par des voies détournées ? Nadia qui au terme d'un parcours épique en 1968, alors qu'elle a vingt ans et qu'elle n'a jamais vu son père, va lui redonner le goût à la vie et sa dignité d'homme après qu'il a été conduit au bord du précipice en de folles circonstances. Dans la solitude de son âme dévastée il va remonter la pente en ne pensant qu'au jour où il pourrait revoir sa fille.
Un récit absolument bouleversant et émouvant évoquant avec le talent que l'on connaît à
Amin Maalouf le détournement d'un destin, d'abord sur fond d'agonie de l'Empire Ottoman, puis les deux guerres mondiales et enfin la tragédie qui se joue encore au Proche Orient. Une enfance princière, une grand-mère démente, un frère déchu, un père révolté, la Résistance française, la rencontre improbable de Clara : la vie d'Ossyane a tout connu, du rêve princier à l'héroïsme malgré lui et puis la descente aux enfers. Mais l'amour est plus puissant que l'Histoire pour un ultime rendez-vous…
Pour la petite histoire, Échelles du Levant, c'est le nom que l'on donnait jadis aux cités marchandes par lesquelles les voyageurs d'Europe accédaient à l'Orient.