Company of Liars
Traduction :
Fabrice Pointeau
ISBN : 9782266207522
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La Compagnie des Menteurs" est paru pour la première fois en France chez Sonatine même s'il vous est désormais loisible de vous le procurer en Pocket. Il ne faut donc pas s'étonner de le voir présenté comme un thriller alors que les termes "thriller fantastique" conviendraient nettement mieux. D'accord, je vous rassure, vous aurez votre lot de cadavres assassinés et même mutilés - pour deux d'entre eux - de brigands de grand chemin - lépreux qui plus est et n'ayant par conséquent même plus peur de la justice du Roy car quel bourreau oserait pendre un lépreux ? - de personnages inquiétants et de violences diverses. Disons tout de même, à la décharge de tous, que nous sommes en 1348, année où la Peste commence à se répandre en Angleterre, et que les temps ne sont pas précisément à la gentillesse et à la compassion.
Le groupe qui va constituer "
La Compagnie des Menteurs" se compose, à l'origine, de huit personnes. Dans une ville qu'il traverse, il récupère sans le savoir un "passager clandestin", Cygnus, conteur de son métier, qui doit fuir les lieux parce qu'on le suspecte (à tort) d'avoir violé et tué une petite fille. Enfin, il faut compter avec Xanthos, la jument au caractère bien trempé qui mène tout ce petit monde vers l'est car on s'imagine, d'ailleurs bien à tort, que la Peste n'y a point encore frappé.
La tâche de nous conter l'affaire de A jusqu'à Z est confiée à un certain Camelot, lequel, jusqu'ici, gagnait sa vie sur les routes en vendant de fausses reliques, des onguents, des herbes et autres petites choses innocentes que les braves gens sont toujours heureux de se procurer au cas où la protection de Dieu et de la Sainte-Vierge ne suffiraient pas ... de tempérament pondéré, aimable, d'esprit ouvert et cultivé, nul mieux que lui ne sait ramener le calme lorsque les esprits s'échauffent. Et ils s'échauffent souvent ... Surtout à partir du moment où la guérisseuse Plaisance, qui a recueilli la petite Narigorm, intègre le groupe, au tout début.
Narigorm est une enfant singulière, tant par son physique que par sa façon d'être. Ses cheveux sont blancs, ses yeux d'un bleu froid, sa peau neigeuse et son truc à elle, pour gagner sa petite vie, c'est de tirer les runes nordiques, métier qui convient d'ailleurs à merveille à son apparence de déesse des Neiges en miniature. Elle sourit rarement, rit encore moins mais se sent visiblement au mieux de sa forme quand elle prédit des choses déplaisantes ou quand on lui présente un cadavre, même si c'est celui de Plaisance par exemple, qui l'a pourtant soignée alors qu'elle était gravement malade.
Camelot est le seul à se méfier assez vite de cette enfant qui, quand on l'observe suffisamment, n'a rien d'une enfant et certainement pas les motivations. Zophiel, possesseur de la charrette et de la jument, et par ailleurs véritable poison ambulant, toujours prêt à semer la discorde, voire pire, entre les membres du groupe, finit lui aussi par la regarder avec méfiance. Mais, si opposés que soient Camelot le Modérateur et Zophiel l'Extrémiste, tous deux ont bel et bien peur de la petite Narigorm. le lecteur cartésien, qui en tient pour son thriller classique, en conclura que tous deux, manipulateurs de par leur métier (Zophiel exhibe dans les foires la momie d'une "sirène" et joue aussi bien souvent le bateleur aux tours de magie redoutables), pressentent simplement en leur jeune compagne une personnalité encore plus douée. Les amateurs de fantastique, eux, et bien que Narigorm fasse allusion un jour à la Morrigan celtique, songeront plutôt à Héla, la déesse nordique de la Mort et fille de Loki, le dieu du Mal.
Long, très long, noyé sous la pluie acharnée qui pourrit les moissons, le voyage vers l'Est voit peu à peu disparaître, sous divers prétexte, l'un, puis l'autre des membres de la Compagnie. Il semble qu'un loup - qu'on ne voit jamais et qui pourrait être bien un serviteur de l'Evêque local, lequel veut récupérer certains objets de cultes volés par un prêtre défroqué (non, je ne vous dirai pas qui c'est, et puis quoi, encore ? - les suive avec patience, réchauffant leurs nuits les plus froides par de longs hurlements qui, en réveillant la peur dans leurs veines, leur fait oublier tout le reste : l'inconfort permanent, le froid glacial, les couches inconfortables, les couvertures trop minces, le peu de pitance dans leurs estomacs engourdis.
Dans les derniers chapitres, Camelot, comprenant qu'il ne parviendra jamais à faire admettre aux survivants la malfaisance innée de Narigorm (en fait, ils commencent à le prendre pour un vieux fou), tente une manoeuvre désespérée pour la mettre hors de combat et s'en retourne chez lui - vers son passé. Et mon billet n'ira pas plus loin, sous peine de vous révéler deux chutes, la première concernant Camelot et la seconde, bien sûr, vous vous en doutez la petite Narigorm.
Si vous n'avez rien contre le Moyen-Âge, les histoires plus ou moins fantasmagoriques, les cadavres qui s'amoncèlent et les chutes bien tournées, lisez "
La Compagnie des Menteurs." Il y a, certes, quelques longueurs mais cela ne m'a pas semblé déparer le récit. La preuve : je me suis procuré dans la foulée "
Les Âges Sombres", du même auteur. Si vous ne recherchez qu'un thriller classique, par contre, passez votre chemin. ;o)