-Autour des Chantars existe une anomalie magnétique. L'aiguille d'une boussole tourne en permanence et ne peut donc jamais indiquer le nord correctement. Comment veux-tu que les hommes du continent nous comprennent ?
À cet instant de ma jeunesse, le verbe "vivre" à changé de sens. Il exprimait désormais le destin de ceux qui avaient réussi à atteindre la mer des Chantars. Pour toutes les autres manières d'apparaître ici-bas "exister" allait me suffire.
L'heureuse hébétude de notre marche mélangea les dates dans ma mémoire. Deux jours ou bien trois s'écoulèrent dans cette insouciance.
Puis le choc de notre découverte rompit ce repos .
Nous nous réveillâmes avant le lever du soleil--non pas dans l'intention d'attaquer l'évadé mais eprouvant le frisson de la première gelée. Rien ne trahissant encore dans les feuillages l'arrivée de l'automne,pourtant le souffle de la mer d'Okhotsk jetait déjà ses cristaux de givre sur la bâche de nos tentes.( page 141).
Ce que je voyais échappait au langage - trop de vide emplissait cet infini mat, brumeux, sans repères.
A l’approche de la nuit, le vent sema un crachin d’une fraîcheur déjà automnale. Nous nous réfugiâmes sous une tente, essayant de reprendre notre festin avec la même bonne humeur qu’avant. Mais l’alcool - cette inévitable gorgée de trop - apportait désormais de l’aigreur, la clairvoyance triste dont nous ne réussissions plus à repousser les aveux.
Je n'aurais jamais cru que l'homme avait besoin de si peu.
Le soleil réapparaissait, l'océan se calmait et Elkan venait dans cette baie protégée par la falaise. Elle suivait dans l'air brumeux les lignes de la voile et, quand la barque accostait, ils comprenaient tous les deux que cet instant éclairé de jaspe carminé était le sens même de leur vie. De cette autre vie
Cette nuit là - je le comprendrais plus tard - nous étions au plus près de ce qu'il y avait en nous de meilleur
... je n'aime pas ces récits de soldats. On enjolive, on décrit des exploits et des victoires. La nouvelle génération écoute, puis se met à rêver de sa propre guerre ... »
En vérité jamais je ne m'étais senti aussi uni à cette vie
dite sauvage et à laquelle à présent j'appartenais.
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