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Citations sur L'archipel d'une autre vie (227)

Pour tromper la souffrance, nous avions tissé un paravent de légendes qui magnifiaient nos parents morts.
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Le bref séjour au bord du néant, au lieu de me pousser vers des sommets de sagesse, amplifiait au contraire la très bête frénésie de vivre - posséder une femme, revenir dans les jeux de la tribu humaine. Le pantin s'agitait de nouveau en moi !
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Non , je n'étais pas à ce point naïf pour clamer un amour universel. Mais l'air que je respirais était le même de l'autre côté de l'océan, et le bruissement des eaux devait avoir la même tonalité sur les îles japonaises ou ailleurs. Cet instant d'été avait un même écho de sérénité sur tous les continents...
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"C'est ça qui fait de nous un troupeau-notre envie de baiser. Ceux qui nous gouvernent n'ont pas besoin de fouet, ils nous tiennent par les couilles. Nous avons peur de perdre nos petits plaisirs et, du coup, nous sommes prêts à obéir à n'importe quel salaud..." (...)"Il faut toucher le fond , Pavel, c'est la meilleure chose qui puisse arriver à un homme. Après ma première année de prison, j'ai commencé à éprouver cette liberté là . Oui, la liberté ! Ils pouvaient m'envoyer dans un camp plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas. Leur monde ne me concernait pas, car ce n'était qu'un jeu et je n'étais plus un joueur. Pour jouer il fallait désirer, haïr, avoir peur. Mais je n'avais plus ces cartes en main. J'étais libre..."
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« C’était pendant la guerre, je t’en ai parlé – le siège de Leningrad, l’évacuation des civils par la route qui passait sur le lac Ladoga gelé. Ma femme se trouvait dans un camion, l’un de ceux qui sont tombés dans les trouées ouvertes par les bombes. Avec les élèves de son école… et notre fis de sept ans. Après la guerre, j’ai demandé à l’administration de la ville s’il y avait la possibilité de remonter les corps. Le responsable que j’ai rencontré m’a écouté en baillant, puis il a tranché: "Un enterrement ? Mais nous avons un million de cadavres qui sont enfouis n’importe comment, sans cercueil ni pierre tombale. Allez, dans le lac, les poissons vont s’en charger…" Je l’ai frappé, lui cassant le nez, on m’a arrêté, j’ai écopé de sept ans, à Vorkouta ».
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Oui, ruser, mentir, frapper, vaincre. La vie humaine. Un gamin s'étonnerait : pourquoi tout cela ? Dans cette belle taïga, sous ce ciel plein d'étoiles. L'adulte ne s'étonne pas, il trouve une explication : la guerre, les ennemis du peuple... Et quand ça devient vraiment invivable, il te parle de Dieu, de l'espérance!
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La douleur est faite pour révéler l'homme. Louskass se montra capricieux, méfiant et surtout très douillet. Il insista pour qu'on nettoie sa blessure à l'alcool trois fois de suite.
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La forêt s'effeuillait, protégeant mal ma fuite. Ce qui me sauvait, c'était la vitesse de mon déplacement et ma connaissance, presque tactile, des endroits que je traversais. Et, les premiers jours, l'oubli de la faim. Le manque de nourriture se fit sentir subitement : en traversant un affluent de l'Amgoun, je remarquai que la rivière, peu profonde, se gondolait sous mes pas, se colorant, puis virant au noir. Pris de vertige, je trébuchai, m'accrochant au vide, la tête remplie de cris, de carillon et, brusquement, de longs échos mats...
L'eau glacée m'éveilla. Je me vis étendu sur la berge - le sable était marqué par la trace de la reptation qui m'avait traîné hors du flux... Je me relevai dans un équilibre incertain et trouvait la force de pousser plusieurs pierres pour dévier une partie du courant. Dans la petite baie qui se forma, je jetai des coquillages écrasés, en guise d'appât, et me mis à getter la proie, armé d'une branche cassée en pointe... Au bout de quelques minutes, un jeune taïmen s'y montra. Trop faible, je ne pris pas le risque de frapper le poisson avec ma pique. Je me laissai tomber sur lui, l'étreignant sous ma poitrine, dans une grande gerbe d'éclaboussure et de vase remuée. Il se débattit vigoureusement et commença à m'échapper, grâce à sa peau glaireuse. Je comprenais que je n'aurais pas la chance d'en attraper un autre. Et donc de manger. Et de survivre. Plongeant la tête dans l'eau, je mordis son corps, entre la nageoire dorsale et l'os du crâne.
Je sortis sur la berge, mes mains retenant les soubresauts de ce fuseau argenté, mes dents enfoncées dans les écailles qui vibraient...
A la chute du jour, en dévorant la chair grillée sur les braises, je pris conscience de n'avoir jamais pensé, avec un tel chagrin et une telle reconnaissance, à une parcelle de vivant qui m'épargnait la mort. En vérité, jamais je ne m'étais senti aussi uni à cette vie dite sauvage et à laquelle à présent j'appartenais...

A partir de ce jour-là, un éloignement, plus mental que physique, allait faire évanouir le monde où les hommes se haïssent tant, le monde de Louskass, de Ratinsky, le monde de l'abri numéro dix_neuf. Un matin, en reprenant ma marche, je me rappelai les coups que j'avais reçus au visage et, très clairement, je compris qu'il n'y avait plus, en moi, aucune envie de vengeance, aucune haine et même pas la tentation orgueilleuse de pardonner. Il y avait juste le silence ensoleillé de la rive que je longeais, la transparence lumineuse du ciel et le très léger tintement des feuilles qui, saisies par le gel, quittaient les branches et se posaient sur le givre du sol avec cette brève sonorité de cristal. Oui, juste la décantation suprême du silence et de la lumière.

(P234)
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A un moment, leur exil m’a paru incompréhensible, effrayant même. Se couper de la société, s’enfermer au milieu des glaces, sur un îlot entouré d’un océan en furie ! Refuser l’excitant spectacle de la vie, son pathos, ses rivalités ! J’avais, alors, l’âge ou la multiplicité éblouit et la variété des postures intoxique. Où changer de rôle donne l’illusion de la liberté. Où dupliquer sa personne en mille relations est perçu comme une richesse d’existence.
J’avais l’impression de vivre tout ce que Gratsev et Elkan ne connaîtraient jamais.
Et puis, sans se soucier de mon amour-propre, l’équation s’est retournée : chaque jour m’enlevait un peu plus la chance de vivre et de comprendre ce qu’ils avaient vécu et compris.
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J'imaginais un corps roulé en boule dans le renfoncement d'un rocher, un gars vêtu d'un habit usé de prisonnier, un fuyard épuisé par la traque et n'espérant aucune aide. Un homme aux abois, totalement seul. Malgré moi, je ressentais pour lui non pas de la sympathie mais cet attrait qui devait unir, dans les temps immémoriaux, deux solitaires se croisant dans une forêt sauvage.
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