Si je mets deux commentaires de 5 étoiles est-ce que cela compte pour 10 ??
Mais comment commenter un tel coup de coeur XXXL ?
Je me lance…
Une ville bombardée,
un champs de bataille dévasté.
Tout est gris, gris-souris
mais rien ni personne ne sourit.
Tout est gris, gris-perle
mais céans rien ne perle
seul le néant déferle.
Tour est gris, gris anthracite
quand entre ici le colonel gris
dans l'antre tactique du général
qu'il gène et râle
mais l'enrôle, pâle,
en tacite aval.
Tout est silence.
un silence lourd, massif, atonal
comme massif est le lourd général
qui souffle, renifle et avale
les reliefs de ses fosses nasales.
Tout est silence
face au colonel gris
Il induit le silence.
Il enduit de silence,
un silence de mort !
Du gris, du silence
et l'odeur acre de la mort.
Enki Bilal est convoqué ici dans l'entrée en matière visqueuse de ce roman oppressant qui nous enfonce dans les tréfonds d'une anonyme nation totalitaire qui vient de déboulonner son dictateur.
Aucune couleur, un gris poisseux.
L'heure est pourtant à la reconquête mais par la curée.
Alors, le colonel couleur de cendre
en ses quartiers saura descendre,
obscur caveau où lames et lanières
tranchent et lacèrent
dans un cercle de lumière.
Le colonel gris
de ses actes, aigri
jamais ne dégrise.
Accourent écorchés vifs
fantômes des nuits de crises.
A ses mains requises
travaillées aux canifs
chairs et peaux sont soumises
à sa funeste maitrise
de l'art honni, sans convoitise,
prodiguer l'ultime supplice,
délice surgi de jadis :
LA TORTURE !
LA TORDURE
ORDURE !!!
Sur l'écran noir de ses nuit grises
Il se projette le cinéma
de ses si nombreuses prises
de guerre menées de vice
à trépas.
Car son âme aussi est grise
qui jamais ne déplisse
ses lourdes paupières grises
ou nuitamment glissent,
défilent et s'enlisent
les charognes qui pourrissent
et pour toujours domicile élisent .
Il a fondu au gris.
Il s'est décoloré
déshumanisé
mis hors la réalité
pour officier
sans sourciller
Mais quelle gifle monumentale,
j'en ai encore la joue marquée
et la nuque douloureuse
d'avoir sous ce coup ployé.
Un style à nul autre pareil qu'on lit dans l'urgence, en apnée, le souffle coupé, à la recherche d'oxygène (car la ou il y a de l'oxygène, il y a du plaisir).
On descend les phrases comme on prendrait un escalier abrupt pour échapper à un péril qui ne peut que nous fondre dessus.
On cherche l'oxygène !
On veut retrouver l'humanité qui a déserté l'âme de ce militaire que la conscience torture d'avoir torturé tant de suppliciés.
On lit en courant, en dévalant, en zigzaguant pourtant on est saisi par la beauté de ce très court texte, poétique même dans l'horreur.
On pense à tous ces endroits où la guerre fait rage, à ces hommes, très jeunes souvent, qui sont précipités dans la machine à broyer les corps et les âmes.
On pense à tous ceux qui en sont revenus, nos grands-pères, nos pères, les yeux horrifiés par les images auxquelles, innocents, ils ont été exposés, souvent vierges de pensées belliqueuses.
Virginité perdue, à jamais déchirée.
On se demande ce que l'on aurait fait (ou ferait) de notre vie, propulsé à notre tour dans un tel chaudron ou bouillonne le magma de l'humanité déshumanisée.
Pourtant là, on comprend.
On comprend cet homme, ce colonel qui ne dort pas.
On n'adhère pas, heureusement, mais on comprend.
On le suit dans ce parcours hallucinant qui est son calvaire d'avoir à faire subir le calvaire.
Un parcours hypnotique qu'il vit halluciné, dont il rêve d'être libéré, de se défaire, par une mort salvatrice qu'il ne veut cependant pas provoquer.
Car c'est son destin,
son enfer sur terre,
sa vie !
Il en a été décidé ainsi !
on lui en a intimé l'ordre,
c'était écrit,
en lettre de sang mais écrit.
On en rejoint presque le religieux, c'est sa mission, diabolique, mais sa mission !
Car ce salaud est un homme !
Cette ordure est un homme !
Il a un autre logiciel mais c'est un homme !
Comment vit-on l'obligation de faire ce qui nous révulse ?
Quelle quiétude peut-on trouvé après avoir eu à pratiquer de telles horreurs.
Un roman inclassable à la lecture fulgurante que l'on fait à voix haute pour en extraire la quintessence et mettre le recul nécessaire pour ne pas y être également englouti.
Énorme coup de coeur !
Il se délite, le colonel gris.
Il se mue en un gigantesque trou gris qui tout attire, tout absorbe, tout engloutit.
Il se délite en une absurde folie qui tout phagocyte.
il arrose le monde d'une grise cataracte qui tout ensevelit comme l'horreur de ses actes ensevelit sa grise conscience…mais l'oeil gris était dans la tombe et regardait…le colonel gris.
PS: Merci infiniment à toi, Chrystèle, d'avoir attiré mon attention sur cet ouvrage magnifique qui, sans ton billet, aurait totalement échappé à mon rat d'art.