«
Que sur toi se lamente le Tigre », premier roman d'
Emilienne Malfatto, a été récompensé en 2021 par le Prix Goncourt du Premier Roman.
Une jeune irakienne va bientôt mourir.
Le lecteur ne connaîtra jamais son nom.
Déjà effacée des mémoires.
Vivante mais déjà morte.
Car, ce soir, son frère va la tuer.
On peut mourir par amour.
*
Pareil à une lame, les coups vont pleuvoir
jusqu'à sa mort,
inéluctable.
Pareil à une lame,
la vague va refluer ne laissant
rien,
le néant.
« Je serai effacée, oubliée, je n'aurai jamais existé. »
Pareil à une lame,
après seulement quelques lignes, mes émotions m'ont submergée.
Une profonde solitude.
Le sentiment d'un terrible gâchis.
Mais en attendant, la jeune femme attend, seule, que son bourreau vienne mettre fin à ses jours. Elle porte un regard sans haine sur sa vie et plus généralement, celle des femmes qui doivent se soumettre à l'autorité des hommes.
« Ma vie s'est déroulée derrière des murs et des voiles, dans la soumission aux hommes et dans ce monde si particulier des femmes d'ici qui opère comme un miroir déformant sur les êtres et les choses. »
La raison, le lecteur la connaît dès le départ.
Une souillure qui ne peut être lavé que par la mort de celle qui a fauté.
« Les femmes de la famille doivent rester propres. Pures. Intouchées. Au prix du sang. Notre corps ni notre honneur ne nous appartiennent. Ils sont la propriété familiale. La propriété de nos pères et de nos frères. »
Avec beaucoup de justesse et sans jamais porter de jugement,
Emilienne Malfatto nous conte ce drame qui se déroule à huis-clos, laissant témoigner, à tour de rôle, les proches de la suppliciée.
Cette approche est très intéressante : chaque point de vue révèle, avec franchise, leurs ressentis, leurs émotions, qu'ils soient femmes ou hommes. Il nous éclaire sur leurs forces, leurs faiblesses, leur devoir, leur honte, leur lâcheté.
Chaque témoignage conduit à la mort de la femme, le code de l'honneur, l'opinion des autres, les ragots, imposant le sacrifice des femmes, la dignité et la justice des hommes.
*
J'ai ouvert ce tout petit roman par simple curiosité, attirée par les très beaux commentaires d'amis lecteurs, et je l'ai lu d'une seule traite tant j'ai été saisie par l'écriture de l'auteure, si belle, si poétique, si puissante.
J'ai été touchée par cette jeune femme qui ne mérite pas la mort, qui dans un pays comme le notre, pourrait vivre libre, heureuse. Mais elle habite en Irak et doit se soumettre à sa famille et à la loi des hommes.
« Notre monde n'est pas fait pour les rêves ».
*
Cette histoire est fictive, mais c'est bien la réalité de la condition des femmes dans certains pays du monde que nous racontent l'auteure.
Un monde fait pour les hommes.
Un monde où l'on ne respecte pas les femmes.
Un monde où la culture patriarcale permet aux hommes de dominer, maltraiter et assassiner les femmes en toute impunité.
« Nous sommes un pays de victimes et d'assassins. »
*
Emilienne Malfatto travaille comme journaliste et photographe indépendante, notamment en Irak.
En moins de quatre-vingts pages, l'auteure porte un message fort sur l'extrémisme religieux, l'extrême violence faite aux femmes musulmanes, l'horreur de la guerre.
Moi qui vis une autre vie, j'ai été émue.
C'est avec émotion que je vous encourage à lire ce beau texte qui se lit en seulement une heure.
Et pour ceux et celles qui ont aimé ce roman, je vous conseille également «
La laveuse de mort » de l'irakienne
Sara Omar, un roman bouleversant, très difficile à lire, sur l'oppression et l'asservissement dont les femmes musulmanes sont victimes lorsque l'obscurantisme et le fanatisme prédominent.