-Que voulez-vous faire ?
- JE VOULAIS ...Une force militaire,d'abord. Grossière, mais rapidement ransformable. Et attendre le conflit inévitable ici, soit entre colonisateurs et colonisés, soit entre colonisateurs seulement. Alors, le jeu pourrait être joué. Exister dans un grand nombre d'hommes, et peut-être pour longtemps. Je veux laisser une cicatrice sur cette carte. Puisque je dois jouer contre ma mort, j'aime mieux jouer avec vingt tribus qu'avec un enfant...
(pp.81-82)
Vous ne savez pas ce que c'est que le destin limité, irréfutable, qui tombe sur vous comme un règlement sur un prisonnier: la certitude que vous serez cela et pas autre chose, que vous aurez été cela et pas autre chose, que ce que vous n'avez pas eu, vous ne l'aurez jamais. Et derrière soi, tous ses espoirs, ses espoirs qu'on a dans la peau comme on n'aura jamais aucun être vivant...
(p.80)
"Vous n'avez pas encore été gravement trahi ?
-On ne pense pas sans danger contre la grande masse des hommes. Vers qui irais-je, sinon vers ceux qui se défendent comme moi?
- Ou qui attaquent...
- Ou qui attaquent ...
- Et peu vous importe le lieu où l'amitié peut vous entraîner?...
- Craindrai-je l'amour à cause de la vérole? Je ne dis pas : peu importe, je dis : j'accepte."
(p.79)
Posséder plus que lui-même, échapper à la vie de poussière des hommes qu'il voyait chaque jour...
(p.59)
"On ne fait jamais rien de sa vie.
- Mais elle fait quelque chose de nous.
- Pas toujours...Qu'attendez-vous de la vôtre ?"
(...)
"Je pense que je sais surtout ce que je n'en attends pas...
- Chaque fois que vous avez dû opter, il se ...
- Ce n'est pas moi qui opte : c'est ce qui résiste.
- Mais à quoi ?"
Il s'était assez souvent posé lui-même cette question pour qu'il pût répondre aussitôt:
" A la conscience de la mort."
(pp.56-57)
Perken parut réfléchir. Claude le regardait, découvrant que l'état civil, que les faits, sont aussi impuissants contre la puissance de certains hommes que contre le charme d'une femme. (...) Des faits, Claude ne retiendrait que ceux qui s'accordaient à ses sentiments.
(pp.48-49)
Il se tourna tout à fait vers Claude, qui surprit l'expression d'abattement de son visage; la main disparut.
" Nous partons dans une heure... Au fait, que veut dire arriver, pour vous?
- Agir au lieu de rever. Et vous?
Perken fit un geste comme pour écarter la question.
Il répondit néanmoins:
"Perdre du temps..."
(p.47)
Comme tous ceux qui s'opposent au monde, Claude cherchait d'instinct ses semblables, et les voulait grands; en l'occurence, il ne craignait pas d'être dupe de lui-même.
(p.46)
Son père tué,sa mère, qui avait quitté son mari depuis longtemps, vint voir l'enfant. De nouveau, elle vivait seule. Le vieux Vannec l'avait acceuillie; il avait si bien pris l'habitude de mépriser l'action des hommes, qu'il les enveloppait toutes dans une même indulgence haineuse.Le soir, il l'avait retenue, indigné à l'idée que, lui vivant, sa belle-fille pût habiter un hotel dans SA ville: il savait d'expérience que l'hospitalité n'empêche pas la rancune. Ils avaient causé, ou plutôt elle avait parlé: une femme abandonnée, obsédée par son âge jusqu'à la torture, certaine de sa déchéance, et qui considérait la vie avec une indifférence désespérée. Quelqu'un avec qui il pouvait vivre... Elle était ruinée sinon pauvre. Il ne l'aimait guère, mais il subissait l'influence d'un étrange esprit de corps: elle était, comme lui, séparée de la communauté des hommes qui demande tant d'acceptations stupides ou sournoises; la cousine, trop vieille maintenant, dirigeait mal la maison...Il lui avait conseillé de rester, et elle avait accepté.
(p.40)
Perken était de la famille des seuls hommes auxquels son grand-père - qui l'avait élevé - se sentit lié. Lointaine parenté : même hostilité à l'égard des valeurs établies, même gout des actions des hommes lié à la connaissance de leur vanité; même refus, surtout.
(p.37)